Lettre à George Sand, 30 août 1855

  • Cote de la lettre ED-IN-1855-AOU-30-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 30 Août 18[55]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 285-287. Alexandre, 2005, p. 204.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 27x20,6
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 70
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Transcription modernisée

Jeudi 30 août

[1855]

 

Chère amie, si je n’ai pas répondu à votre adorable lettre, c’est que j’ai cru de jour en jour que je pourrais vous demander si je vous trouverais à Nohant pour aller y passer quelques jours auprès de vous. Je viens aujourd’hui vous demander si vous y serez vers le milieu de septembre, et pour aller seulement vous embrasser, c’est le mot : j’ai été entortillé, j’ai gaspillé mon temps de sorte que, ne pouvant partir même au commencement du mois, il faut que j’aille au nord et au midi, chez des cousins, des cousines1 et je compte aussi, chez la meilleure parente de mon cœur qui est vous, et tout cela dans l’espace de quinze jours. Il faut que je me trouve à Paris pour figurer comme juré à l’exposition de tableaux où les peintres des quatre parties du monde sont représentés2, et ce jugement commence le 1er octobre ; or il faut que je sois revenu quelques jours avant pour mettre le nez dans tout cela et faire mon métier de juge en conscience. Seriez-vous du 10 au 20 à Nohant ? Je passerais comme la foudre, heureux de vous revoir, désolé de vous quitter, hélas ! comme toujours et pour tout. Bonne chère amie, je vous aime bien tendrement et ne puis assez vous dire combien je suis reconnaissant de votre attachement. Est-il possible qu’on se rencontre si peu dans ce monde, où on nous a fait encore la part si petite pour aimer et vivre dans la confiance d’être aimé ? Je ne vous parle pas longuement du plaisir que m’a fait votre lettre et combien elle m’a intéressé, au point de vue de l’indépendance et je crois aussi de la parfaite sûreté de vos jugements. Le monde vit dans une prévention continuelle sur toute chose : on aime des opinions, mais loin d’aimer les choses, on ne les connaît ni ne les voit : un beau jour on est tout surpris de ce qu’on a adoré sur parole. Vous allez me récapituler tout cela pendant les trois jours de bonheur que je vais trouver près de vous, si la destinée ne vous entraîne pas dans ce moment-là d’un autre côté.

Adieu, chère amie, en attendant le moment de vous voir.

Eugène Delacroix

 


1 Delacroix sera, du 12 au 15 septembre, à Croze (Lot) chez les Verninac et, du 19 au 25 septembre, à Strasbourg chez Alexandrine et Guillaume-Auguste Lamey. Il n’aura finalement pas pu venir voir Sand à Nohant, la romancière se rendant au même moment à Paris pour la première de Maître Favilla (voir lettre à Sand du 4 septembre 1855).
2 Lors de l’Exposition universelle de 1855 à Paris, Delacroix est membre du jury de la classe dévolue aux peintures, gravures et lithographies (XXVIIIe classe).

Transcription originale

Page 1

jeudi 30 août

[1855]

Chère amie, si je n’ai pas ré-
-pondu à votre adorable lettre, c’est
que j’ai cru de jour en jour que
je pourrais vous demander si je
vous trouverais à nohant pour aller
y passer quelques jours auprès de vous.
Je viens aujourd’hui vous demander
si vous y serez vers le milieu de 7bre
et pour aller seulement vous em-
-brasser : c’est le mot : j’ai eté entortillé,
j’ai gaspillé mon temps de sorte que,
ne pouvant partir même au com-
-mencement du mois, il faut que
j’aille au nord et au midi, chez
des cousins, des cousines et je compte
aussi, chez la meilleure parente de

 

Page 2

mon cœur qui est vous, et tout
cela dans l’espace de quinze jours.
Il faut que je me trouve à Paris
pour figurer comme juré à l’expo-
-sition des tableaux où les peintres
des quatre parties du monde sont
représentés et ce jugement com-
-mence le 1er octobre ; or il faut
que je sois revenu quelques jours
avant pour mettre le nez dans tout
cela et faire mon metier de juge
en conscience. Seriez vous du 10 au
20 à Nohant ? je passerais com-
-me la foudre, heureux de vous revoir
désolé de vous quitter, hélas ! comme
toujours et pour tout. Bonne chère
amie, je vous aime bien tendrement
et ne puis assez vous dire combien je

 

Page 3

suis reconnaissant de votre
attachement. Est-il possible qu’on
se rencontre si peu dans ce monde
où on nous a fait encore la part
si petite pour aimer et vivre dans
la confiance d’etre aimé ! Je ne
vous parle pas longuement du
plaisir que m’a fait votre lettre et
combien elle m’a interessé au point
de vue de l’indépendance et je crois
aussi de la parfaite sureté de vos
jugements. Le monde vit dans
une prévention continuelle sur toute
chose : on aime des opinions, mais
loin d’aimer les choses, on ne les
connaît ni ne les voit : un beau
jour on est tout surpris de ce qu’on
a adoré sur parole. Vous allez me
récapituler tout cela pendant les

 

Page 4

trois jours de bonheur que je
vais trouver près de vous, si la
destinée ne vous entraine pas dans
ce moment là d’un autre coté.

Adieu chère amie en attendant
le moment de vous voir.

 

Eugdelacroix

 

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