Lettre à George Sand, 26 mai 1842

  • Cote de la lettre ED-IN-1842-MAI-26-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 26 Mai 18[42]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes L’Art vivant, 1er août 1930
    , p. 599. Joubin, Corr. gén, t. II, p. 103-104. Alexandre, 2005, p. 123-124.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 21,1x27,2
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 28
  • Cachet de la poste [1er cachet, partiellement illisible] [L]A CHATRE ; [2e cachet, partiellement illisible] PARIS // [1]842 ; [3e cachet, illisible]
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Transcription modernisée

Madame G. Sand

à Nohant, près La Châtre

Indre

 

 

Chère amie, vous n’avez pas d’idée de tous les riens qui me retiennent ici bien malgré moi, enfin jusqu’à la circonstance la plus sotte. Comme je fais toujours, j’avais attendu au dernier moment pour demander rendez-vous au fameux Brewster1, le dentiste, pensant que du jour au lendemain j’obtiendrais audience de cet astre ; voilà un paltoquet qui me donne rendez-vous à dix ou douze jours de là, comme ne ferait sûrement pas le grand mogol. J’ai trouvé le procédé dur à digérer, surtout dans la considération de la centaine de francs plus ou moins qu’il m’en coûterait par-dessus le marché de mon attente vexante. Cependant je me suis dit que j’avais plus à faire de son talent que [de] sa politesse, et qu’après tout ma mâchoire mérite assez de considération pour que je lui sacrifie mon amour-propre. Il résulte de tout cela et de quelques autres ennuis encore que je ne partirai que vers mardi ou mercredi et que je vous arriverai comme une bombe au dessert, ou au potage. Que vos lettres sont bonnes et aimables, chère amie, et qu’il me tarde de vous voir et de vous en remercier ; de vous remercier aussi de la visite de ce bon Papet, qui a eu l’extrême obligeance de venir me dire mon fait. Il vous aura conté cela. Il me prescrit le repos et c’est avec grand plaisir que je vais le prendre auprès de vous. Vive les vaches, les sabots ; à bas les tableaux et les pinceaux. Je quitte tout cela sans vouloir penser une minute que j’y reviendrai.

Mille amitiés à M. votre frère en attendant que j’aie le plaisir de le voir. Vous lui aurez dit sans doute que je suis un personnage quasi muet et que je ne pourrai en dire par conséquent autant que j’en penserai sur les vaches, sur tout ce qui est digne d’admiration en Berry.

Adieu, chère bonne amie ; j’embrasse Chopin, j’embrasse Solange, j’embrasse Maurice, je vous embrasse aussi. Embrassez-vous tous les uns les autres en vous disant que c’est moi qui vous embrasse.

À bientôt donc.

Eugène Delacroix

26 mai


1 Christopher Starr Brewster (1799-1870), dentiste américain, installé à Paris depuis 1833.

Transcription originale

Page 1

Madame G. Sand

à Nohant

Près la châtre

Indre.

Page 2

Chère amie, vous n’avez pas d’idée
de tous les riens qui me retiennent ici
bien malgré moi, enfin jusqu’à la circons-
-tance la plus sotte. Comme je fais toujours
j’avais attendu au dernier moment
pour demander rendez vous au fameux
Brenste le dentiste, pensant que du
jour au lendemain j’obtiendrais audience
de cet astre ; voilà un paltoquet qui
me donne rendez vous à dix ou douze
jours de là, comme ne ferait surement pas
le grand mogol. J’ai trouvé le procedé
dur à digerer surtout dans la consideration
de la centaine de francs plus ou moins
qu’il m’en couterait par dessus le marché
de mon attente vexante. Cependant je me

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suis dit que j’avais plus a faire de son
talent que sa politesse, et qu’après tout
ma machoire merite assez de consideration
pour que je lui sacrifie mon amour propre.
Il résulte de tout cela et de quelques
autres ennuis encore que je ne partirai que
vers mardi ou mercredi et que je vous
arriverai comme une bombe au dessert,
ou au potage. Que vos lettres sont
bonnes et aimables chère amie et qu’il
me tarde de vous voir et de vous en
remercier : de vous remercier aussi de
la visite de ce bon Papet qui a eu l’ex-
-trême obligeance de venir me dire mon fait.
Il vous aura conté cela. Il me prescrit le
repos et c’est avec gd plaisir que je vais
le prendre auprès de vous. Vive les vaches

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les sabots ; a bas les tableaux et les pinceaux.
Je quitte tout cela sans vouloir penser
une minute que j’y reviendrai.

Mille amitiés à Mr. votre frère en
attendant que j’aie le plaisir de le voir.
Vous lui aurez dit sans doute que je suis un
personnage quasi muet et que je ne pourrai
en dire par conséquent autant que j’en penserai
sur les vaches, sur tout ce qui est digne d’admi-
-ration en Berry.

Adieu chère bonne amie : j’embrasse
Chopin, j’embrasse Solange, j’embrasse Maurice.
Je vous embrasse aussi : embrassez vous tous
les uns les autres en vous disant que c’est
moi qui vous embrasse.

à bientôt donc ?

EgDelcroix

26 mai

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