Lettre à George Sand, 12 janvier 1861

  • Cote de la lettre ED-IN-1861-JAN-12-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 12 Janvier 1861
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Burty, 1878
    , t. II, p. 235. Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 228-229. Alexandre, 2005, p. 216-217.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,6x26,8
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 86
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Transcription modernisée

Ce 12 janvier 1861

 

Chère amie,

J’ai appris, je ne sais plus par qui, que vous étiez tout à fait bien et que vous alliez passer l’hiver je ne sais où pour vous remettre tout à fait1. Tout ce que vous faites est bien, quoique je ne sois pas édifié sur le séjour des auberges pour remettre la santé. Le bon lit auquel on est habitué, dans le coin où le ciel nous a fait prendre racine, est comme le lait de la nourrice qui vous a mis au monde. Grâce au ciel, ma santé est très bonne et jusqu’ici je me vois dispensé, ainsi que je l’avais appréhendé après deux hivers passés au coin de mon feu, de courir les hasards et d’aller m’exposer aux aventures, pour me préserver de la fièvre. Depuis quatre mois je fais un métier qui m’a rendu cette santé que je croyais perdue. Je me lève le matin, je cours au travail hors de chez moi, je rentre le plus tard que je peux et je recommence le lendemain. Cette distraction continuelle et l’ardeur que je porte à une besogne de cheval de carrosse me font croire que je suis revenu à cet âge charmant où l’on court toujours et surtout chez les traîtresses qui nous [mot illisible] et nous charment. Rien ne me charme plus que la peinture et voilà que, par-dessus le marché, elle me donne une santé d’homme de trente ans. Elle est mon unique pensée et je n’intrigue que pour être tout à elle, c’est-à-dire que je m’enfonce dans mon travail comme Newton2 (qui mourut vierge) dans la fameuse recherche de la gravitation (je crois).

Mes pensées gravitent vers vous, chère et bonne et fidèle amie. Je dis que je n’intrigue pas et cependant je ne vous eusse peut-être pas écrit sans la rencontre que j’ai faite de Bertin, qui m’a conjuré de vous demander sur quoi il devait compter au sujet de la promesse que vous avez bien voulu lui faire de lui envoyer un roman3. Il le désire vivement et me prie de vous le dire. Je sais que je m’expose à toutes les fureurs de notre ami Buloz, s’il vient à découvrir ma requête4. Il me fit une scène à cette occasion cet été. Il me croit apparemment inféodé aux intérêts de la revue. Je le traitai comme je devais et il se calma. Dites-moi donc, si vous voulez, à moi, quelles sont vos intentions pour les Débats qui, je vous le répète, sont friands, je le crois sans peine, de ces pages qui ont plus de succès que jamais.

Je n’ai plus de place que pour vous dire que je vous aimerai toujours5.

Eugène Delacroix

 


1 Après avoir été gravement malade de la fièvre typhoïde, Sand part en convalescence à Tamaris (Var) de février à juin 1861. D’après les notes prises durant son séjour, elle écrit Tamaris, publié en 1862, d’abord dans la Revue des Deux Mondes, puis en volume.
2 Isaac Newton (1643-1727). Philosophe, mathématicien, physicien, alchimiste, astronome et théoricien anglais. Il est le père de la théorie de la gravitation universelle à laquelle Delacroix fait référence.
3 À ce sujet, voir les lettres des 10 et 17 décembre 1859 et du 9 février 1860. Après l’avoir déclinée, Sand finit par accepter la proposition de Bertin de publier à nouveau dans Le Journal des débats. Son roman La Famille de Germandre paraît dans le périodique du 7 au 29 août 1861.
4 Après avoir été brouillée avec François Buloz jusqu’en 1858, Sand se remet à publier plusieurs œuvres dans la Revue des Deux Mondes. Le directeur de la revue ne devait donc pas être enchanté par l’idée d’une collaboration de la romancière avec un autre périodique.
5 Delacroix recopie l’intégralité de cette lettre dans son Journal, à la même date du 12 janvier 1861.

Transcription originale

Page 1

Ce 12 janv 1861

 

Chère amie

J’ai appris je ne scais
plus par qui, que vous etiez tout-
-à fait bien et que vous alliez
passer l’hiver je ne scais où pour
vous remettre tout à fait. Tout
ce que vous faites est bien quoique
je ne sois pas édifié sur le
séjour des auberges pour remettre
la santé. Le bon lit auquel on
est habitué dans le coin où le
ciel nous a fait prendre racine
est comme le lait de la nourrice
qui vous a mis au monde. Grace
au ciel ma santé est très bonne
et jusqu’ici, je me vois dispensé

 

Page 2

ainsi que je l’avais appréhendé
après deux hivers passés au
coin de mon feu, de courir les
hazards et d’aller m’exposer
aux aventures pour me preserver
de la fievre – Depuis quatre mois
je fais un metier qui m’a rendu
cette santé que je croyais perdu.
Je me lève matin, je cour au
travail hors de chez moi : je
rentre le plus tard que je peux et
je recommce le lendem. Cette dis-
-traction continuelle et l’ardeur
que je porte à une besogne de
cheval de carrosse me fait
croire que je suis revenu à cet
âge charmant où l’on court
toujours et surtout chez les trai-

 

Page 3

-tresses qui nous assassinent
et nous charment. Rien ne
me charme plus que la peinture
et voila que par-dessus le marché
elle me donne une santé
d’homme de trente ans. Elle est
mon unique pensée et je
n’intrigue que pour etre tout à
elle, c’est-à-dire que je m’enfonce
dans mon travail comme newton
(qui mourut vierge) dans sa
fameuse recherche de la gravita-
-tion, (je crois)

Mes pensées gravitent vers
vous chere et bonne et fidèle amie.
Je dis que je n’intrigue pas et cepen-
-dant je ne vous eusse peut etre
pas écrit, sans la rencontre que

 

Page 4

j’ai faite de Bertin qui m’a
conjuré de vous demander sur
quoi il devait compter au sujet
de la promesse que vous avez bien
voulu lui faire de lui envoyer
un roman. Il le désire vivemnt
et me prie de vous le dire. Je scais
que je m’expose a toutes les fureurs
de notre ami Buloz s’il vient
a découvrir ma requète. Il me
fit une scène a cette occasion cet
eté. Il me croit apparemment inféodé
aux interets de la revue. Je le
traitai comme je devais et il se
calma. Dites moi donc, si vous
voulez, à moi, quelles sont vos inten-
-tions pour les débats, qui je vous le
repete, sont friands, je le crois sans
peine, de ces pages qui ont plus de
succès que jamais.

Je n’ai plus de place que pour vous dire
que je vous aimerai toujours.

Egdelacrx

 

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