Lettre à George Sand, 30 juillet 1843

  • Cote de la lettre ED-IN-1843-JUIL-30-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 30 Juillet 18[43]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes L’Art vivant, 1er août 1930
    , p. 706. Joubin, Corr. gén, t. II, p. 144-146. Alexandre, 2005, p. 136-137.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x27
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 34
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Transcription modernisée

30 juillet

 

Chère amie, j’ai trouvé ici en arrivant1 tous les ennuis que je prévoyais et de nouveaux encore. Comme il est écrit qu’il n’y aura pas une seule minute qui ne soit gâtée par quelque désagréable pensée, j’ai eu à me battre successivement avec tous ces fantômes qui renaissent sans cesse et dont le dernier sera celui qui me tuera. Je voulais aussi en vous écrivant vous donner des nouvelles de Solange, quoique j’en eusse par Mme Marliani à qui Mlle de Rozières en avait donné. Elle était superbe et dans une santé parfaite. Enfin hier soir j’ai été à Chaillot et je n’ai pas été assez heureux pour la rencontrer2. Elle était chez Mme d’Oribeau. Votre lettre pour Mme Garcia a été remise fidèlement dès le jour de mon arrivée.

Voici mon itinéraire après vous avoir quittée : mon voyage jusqu’à Châteauroux a été assez long parce que mon cocher était un enfant qui s’endormait continuellement, de sorte que j’étais obligé de me réveiller moi-même pour fouetter les chevaux : il faisait donc jour plein quand je suis arrivé. Après m’être couché, j’ai vu quelques instants mon préfet3 et suis parti à midi : mais à Vierzon, station de deux heures et à Orléans, où j’arrivai le matin vers 4 heures, autre station jusqu’à l’heure du chemin de fer. Voilà comment le problème a été résolu ; il en résulte qu’il est à peu près aussi long de prendre le chemin de fer que de continuer tout droit ; reste la commodité du trajet.

J’ai vu Mme Marliani hier soir, qui était momentanément sans nouvelles et par conséquent inquiète. Elle avait aussi vu Solange que Mme d’Oribeau lui avait amenée et qu’elle avait trouvée à merveille. J’ai embrassé Enrico pour vous.

Chère amie, je vous envoie demain ou après-demain des échantillons de cigarettes par la diligence. J’ai demandé à Mme Marliani de me donner ce qu’elle aurait à vous envoyer, je le joindrai à mon paquet.

Adieu, chère, vous combattez la tristesse et le dessèchement de l’âme par une grande force d’esprit. Je tâche de vous imiter de mon mieux, mais il faut une rude cuirasse, je vous assure. Je vous embrasse bien sincèrement en attendant le plaisir de vous revoir et ne puis assez vous remercier de votre charmante bonté pendant mon séjour près de vous.

Eugène Delacroix

Mille tendresses à Chopin, à Maurice, à Polyte : je regrette bien la flânerie, les bonnes causeries et l’amitié de Nohant.

Je vous envoie un petit briquet que vous trouverez peut-être encore plus commode que le vôtre en ce qu’il n’y a qu’à frotter l’allumette dessous, le flacon étant sujet à s’évaporer. Essayez. Pour cacheter une lettre, vous fichez l’allumette dans le petit trou qui est sur le couvercle.


1 Delacroix rentrait d’un séjour d’une dizaine de jours à Nohant chez George Sand. Juste avant, il avait passé quelques temps avec son frère aîné à Vichy (voir lettre à Pierret, 21 juillet 1843).
2 "Solange est à la pension Bascans, à Chaillot, depuis avril 1841" (Alexandre, 2005,     n. 7 de la p. 136).
3 Ils’agirait de M. Ferdinand Leroy, préfet de l’Indre entre 1842 et 1847, et ami de Delacroix. Dans une lettre de Sand du 19 mai 1843, elle écrit à Delacroix : "...faites-moi savoir si votre ami Mr Leroy est dans sa préfecture de Châteauroux..." (Alexandre, p. 134, lettre n° 70).
La visite de Delacroix à ce préfet pourrait être en rapport avec la création par George Sand du journal L’Eclaireur de l’Indre, dont le premier numéro paraît en septembre 1844 (Joubin, t. II, p. 145, n. 4 et Alexandre, 2005, n. 10 de la p. 136).

Transcription originale

Page 1

30 juillet

Chère amie, j’ai trouvé ici en
arrivant tous les ennuis que je prévoyais et
de nouveaux encore. Comme il est ecrit qu’il
n’y aura pas une seule minute qui ne soit
gatée par quelque désagréable pensée, j’ai eu
à me battre successivement avec tous ces
fantômes qui renaissent sans cesse et dont
le dernier sera celui qui me tuera.– je voulais
aussi en vous ecrivant vous donner des
nouvelles de Solange quoique j’en eusse par
Md. Marliani à qui Melle de Rosières
en avait donné. Elle etait superbe et dans
une santé parfaite. Enfin hier soir j’ai
eté à chaillot et je n’ai pas été assez heureux
pour la rencontrer. Elle etait chez Md. d’oribeau.
– votre lettre pour Me. Garcia a eté remise
fidelement des le jour de mon arrivée.
Voici mon itineraire après vous avoir quitté

Page 2

Mon voyage jusqu’à Chateauroux a eté
assez long parceque mon cocher etait un
enfant qui s’endormait continuellement
de sorte que j’étais obligé de me reveiller
moi même pour fouetter les chevaux : il
fesait donc jour plein quand je suis arrivé.
– après m’être couché, j’ai vu quelques instants
mon prefet et suis parti a midi : mais à
Vierzon, station de deux heures et à orleans
ou j’arrivai le matin vers 4h. autre station
jusqu’a l’heure du chemin de fer. Voila
comment le problème a eté resolu : il en
résulte qu’il est à peu près aussi long de prendre
le chemin de fer que de continuer tout droit.
reste la commodité du trajet.
J’ai vu Me. Marliani hier soir qui
etait momentanement sans nouvelles et par
consequent inquiete. Elle avait aussi vu Solange
que Md. d’Oribeau lui avait amenée et qu’elle
avait trouvée à merveille. J’ai embrassé Enrico
pour vous.

Chère amie je vous envoie demain

Page 3

ou après demain des echantillons de cigarettes
par la diligence. J’ai demandé à Mme Marliani
de me donner ce qu’elle aurait à vous envoyer
je le joindrai à mon paquet.

Adieu chère vous combattez la tristesse
et le dessechement de l’ame par une grande
force d’esprit. Je tâche de vous imiter de mon
mieux : mais il faut une rude cuirasse je
vous assure. Je vous embrasse bien sincerement
en attendant le plaisir de vous revoir et ne
puis assez vous remercier de votre charmante
bonté pendant mon séjour près de vous.

EugDelcrx

Mille tendresse a Chopin, à Maurice
a Polyte : je regrette bien la flanerie, les bonnes
causeries et l’amitié de Nohant. –

Je vous envoie un petit briquet que vous trouverez
peut etre encore plus commode que le vôtre en ce qu’il
n’y a qu’a frotter l’allumette dessous, le flacon etant sujet
à s’evaporer. Essayez. Pour cacheter une lettre vous fichez
l’allumette dans le petit trou qui est sur le couvercle.

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