Lettre à George Sand, 11 août 1851

  • Cote de la lettre ED-IN-1851-AOU-11-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 11 Août 18[51]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 74-76. Alexandre, 2005, p. 181-182.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,8x26,8
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 55
Agrandir la page 1
Agrandir la page 2
Agrandir la page 3

Transcription modernisée

Ce 11 août

Je suis ravi, chère amie, et de votre cadeau1 et de votre invitation. Je ne vous ai pas encore répondu parce qu’en acceptant l’un et l’autre, je voulais vous dire quand je pourrais aller vous voir et que je suis en train de décider cela. Vous avez bien deviné en supposant que je travaille comme un nègre : je travaille même davantage, car je crois qu’ils n’agissent pas communément beaucoup de la tête et chez moi, tête, bras et jambes sont en danse. J’achève en un mot un travail affreux, délicieux, qui sera ce qu’il pourra, mais enfin je l’achève et il est impossible que je le quitte pour toutes les raisons du monde2. Mais au mois de septembre, qui est encore agréable à la campagne, je viendrai vous voir et vous remercier avec bonheur. Dites à Maurice, pour ne pas vous fatiguer, de m’écrire l’ordre et la marche la plus simple pour arriver.

Pour ce qui est du portrait, j’en ai été enchanté : c’est probablement le plus ressemblant qu’on ait fait de vous et il aura une belle place dans mes pénates. Remerciez bien M. Manceau de nous avoir fait à tous ce plaisir. J’ai à regretter la fâcherie du jeune homme qu’il a envoyé me le porter : on lui avait refusé la porte, ce que vous trouverez naturel eu égard à la besogne dans laquelle je nage : sitôt qu’il eut dit qu’il venait de votre part, je suis accouru et lui ai demandé excuse en conséquence : mais rien n’a pu me faire pardonner l’échec qu’il avait cru apparemment avoir éprouvé dans sa dignité et que vous me pardonnez, j’espère. Je vous embrasse donc ainsi que Maurice et tous les amis, en attendant le moment où je ferai mon entrée à Nohant, après tant d’années3. Que vous êtes heureuse d’être à Nohant ! Le sentez-vous ? Il faut vieillir pour apprécier un Nohant. Que n’ai-je la vingtième partie d’un Nohant ! Que n’ai-je une patrie ! c’est-à-dire un lieu où je sois attaché par les habitudes de toute ma vie.

Adieux encore, chère, et à vous de cœur

Eugène Delacroix


1 Portrait de George Sand, gravé par Alexandre-Damien Manceau d’après un dessin de Thomas Couture. La gravure fut présentée au Salon de 1850.
2 Delacroix achève alors son Apollon vainqueur destiné au plafond de la galerie d’Apollon au Louvre. La toile sera mise en place au début du mois d’octobre 1851 (Jobert, 1995, p. 213-218).
3 Delacroix ne s’était pas rendu à Nohant depuis 1846. Le voyage ne se fit pas et le peintre n’y alla plus jamais.

 

 

Transcription originale

Page 1

Ce 11 aout

Je suis ravi chère amie et de
votre cadeau et de votre invitation :
je ne vous ai pas encore repondu parcequ’en
acceptant l’un et l’autre je voulais
vous dire quand je pourrais aller
vous voir et que je suis en train
de decider cela. Vous avez bien deviné
en supposant que je travaille comme
un nègre : je travaille même davantage
car je crois qu’ils n’agissent pas
communement beaucoup de la tête
et chez moi tête, bras et jambes sont
en danse. J’achève en un mot un
travail affreux, delicieux qui sera
ce qu’il pourra, mais enfin je l’achève
et il est impossible que je le quitte
pour toutes les raisons du monde. mais
au mois de 7bre qui est encore
agreable à la campagne je viendrai vous

Page 2

voir et vous remercier avec
bonheur. dîtes à Maurice pour
ne pas vous fatiguer de m’écrire
l’ordre et la marche la plus simple
pour arriver.

Pour ce qui est du portrait, j’en
ai eté enchanté : c’est probablement
le plus ressemblant qu’on ait fait
de vous et il aura une belle place
dans mes pénates. Remerciez bien
M. Manceau de ne nous avoir
fait à tous ce plaisir : j’ai à
regretter la fâcherie du jeune homme
qu’il a envoyé me le porter. on
lui avait refusé la porte ce que
vous trouverez naturel [2 mots raturés] eu egard [mots interlinéaires]
à la besogne dans laquelle je nage :
sitot qu’il eut dit qu’il venait de
votre part je suis accouru et lui
ai demandé excuse en conséquence :

Page 3

mais rien n’a pu me faire
pardonner l’échec qu’il avait cru
apparemment avoir éprouvé dans sa
dignité et que vous me pardonnez
j’espère. Je vous embrasse donc ainsi
que Maurice et tous les amis en
attendant le moment où je
ferai mon entrée à Nohant après
tant d’années. Que vous êtes heureuse
d’être à Nohant ! le sentez vous il
faut vieillir pour apprécier un
Nohant. que n’ai-je la vingtième
partie d’un Nohant : que n’ai-je
une patrie c’est-à-dire un lieu où
je sois attaché par les habitudes
de toute ma vie.

Adieux encore chère et
à vous de cœur

Eugdelacroix

Précédent | Suivant