Lettre à George Sand, 10 octobre 1851

  • Cote de la lettre ED-IN-1851-OCT-10-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 10 Octobre 18[51]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 85-86. Alexandre, 2005, p. 187.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,8x26,8
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 58
  • Œuvre concernée Apollon vainqueur du serpent Python
    Barque de Dante (la)
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Transcription modernisée

Ce 10 octobre

Je n’osais pas vous écrire, chère amie, parce que je suis en plein dans mes retouches et que nous sommes déjà au 10. J’en ai encore pour plusieurs jours, indépendamment de ce qu’il faudra pour qu’il sèche un peu avant de le vernir, car il faut bien paraître avec tous ses avantages1. Et puis il faut bien que je le montre à un certain nombre d’amis et d’importants à qui il faut donner la fleur. Tout cela, bien qu’entraînant du temps, ne m’ôte pas l’espoir d’aller vous embrasser d’abord à Nohant : d’ici à quelques jours je vous écrirai encore et je saurai probablement vous dire positivement ce que je puis faire. Ce que je termine dans ce moment est une grosse affaire pour moi dans ce moment : on m’attend là pour savoir définitivement si je suis peintre ou barbouilleur. Le public, comme vous voyez, et surtout ceux qui lui font son opinion sont quelquefois bien récalcitrants : car il y aura l’année prochaine trente ans juste que je suis sur le tapis et que j’ai exposé pour la première fois2.

Le posage a réussi à merveille : il est un chef-d’œuvre à lui tout seul. Quant au tableau, que je n’avais vu, depuis six mois et plus que j’y travaillais, que le jour où on a enlevé une partie de l’échafaudage, aucun de mes petits calculs n’a été trompé : les retouches ne portent que sur des misères3. On s’étonne que le tableau soit arrivé tout juste comme s’il avait été fait pour la place : comme il ne s’est pas fait tout seul, on s’étonnerait moins si on savait les précautions que j’ai prises. Vous savez ce que coûtent souvent les moindres détails.

Je vous embrasse donc encore et vous remercie de nouveau. Je me porte comme un charme : la mer a fait merveilles4. Mille tendresses à Maurice et à vos hôtes. À bientôt de toute façon, chère amie, mais à Nohant j’espère.

Eugène Delacroix


1 Delacroix achève la composition centrale de la voûte de la galerie d’Apollon représentant Apollon vainqueur du serpent Python. La toile, peinte en atelier, a été mise en place en dans la deuxième quinzaine de septembre 1851 et Delacroix y apporte encore quelques retouches avant son vernissage et sa présentation officielle au public qui se tiendra les 16 et 17 octobre 1851 (Alexandre, 2005, p. 279).
2 Au Salon de 1822, Delacroix expose un Dante et Virgile ou La Barque de Dante (huile sur toile, 189x241,5 cm, Louvre).
3 En raison de ses grandes dimensions, 8 mètres par 7,50, la toile fut d’abord pliée en deux et peinte en deux temps temps dans l’atelier de la rue Notre-Dame-de-Lorette (Alexandre, 2005, p. 279). Transportée au Louvre, elle fut marouflée sur le coffrage de la voûte de la galerie d’Apollon, subit quelques retouches et après un temps de séchage, fut vernie.
4 Delacroix a séjourné à Dieppe les quinze premiers jours de septembre 1851, soignant sa fatigue physique par des bains de mer (cf. lettres des 4 et 9 septembre 1851).

Transcription originale

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Ce 10 oct.

Je n’osais pas vous ecrire chère
amie parceque je suis en plein dans
mes retouches et que nous sommes dejà
au 10. J’en ai encore pour plusieurs
jours independamment de ce qu’il faudra
pour qu’il sèche un peu avant de le
vernir, car il faut bien paraître avec
tous ses avantages : Et puis il faut bien
que je le montre à un certain nombre
d’amis et d’importans à qui il faut
donner la fleur. tout cela bien qu’en-
-trainant du temps ne m’ote pas
l’espoir d’aller vous embrasser dabord
à nohant : d’ici à quelques jours je
vous écrirai encore et je saurai proba-
-blement vous dire positivement ce que
je puis faire – ce que je termine dans
ce moment est une grosse affaire pour
moi dans ce moment. on m’attend là

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pour savoir definitivement si je suis
peintre ou barbouilleur. Le public
comme vous voyez et surtout ceux qui
lui font son opinion sont quelquefois
bien récalcitrans : car il y aura l’année
prochaine trente ans juste que je
suis sur le tapis et que j’ai exposé
pour la première fois.

Le posage a réussi a merveille :
Il est un chef d’œuvre à lui tout seul.
quant au tableau que je n’avais vu, depuis
six mois et plus que j’y travaillais
que le jour où on a enlevé une partie
de l’échaffaud, aucun de mes petits
calculs n’a eté trompé : les retouches
ne portent que sur des misères. On
s’etonne que le tableau soit arrivé
tout juste comme si il avait eté fait
pour la place : comme il ne s’est pas
fait tout seul, on s’étonnerait moins
si on savait les précautions que j’ai

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prises. Vous savez ce que coutent
souvent les moindres details.

Je vous embrasse donc encore
et vous remercie de nouveau. Je me
porte comme un charme : la mer
a fait merveilles. Mille tendresses a
Maurice et a vos hôtes. à bientôt
de toute façon chère amie mais
a nohant j’espère.

EugDelacroix

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