Lettre à Gustave Lassalle-Bordes, 4 septembre 1848

  • Cote de la lettre ED-IN-1848-SEPT-04-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Gustave LASSALLE-BORDES
  • Date 04 Septembre 1848
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Burty, 1878
    , t. II, p. 8. Joubin, Corr. gén, t. II, p. 364-365.
  • Enveloppe Oui
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,5x26,8
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 245 pièce 13
  • Cachet de la poste [1er cachet, partiellement illisible] Paris ; [2e cachet, partiellement illisible] Valence-S-Baise.
  • Données matérielles Un trou dans le feuillet gauche sur la bordure supérieure
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Transcription modernisée

Monsieur Lasalle-Bordes
Peintre
Bezolles, près Condom (Gers)
[Valence Gers]

4 septembre 1848

Mon cher Lassalle,

Je ne reçois qu’à présent la bonne lettre que vous m’écrivez : je vis à la campagne presque continuellement1, cela explique le retard de votre lettre. Je me trouve bien de ce régime au physique et au moral ; à Paris il m’était impossible de travailler, les inquiétudes réelles ou chimériques contribuaient également à m’en empêcher. J’étais à la campagne quand les troubles affreux de juin2 ont éclaté et je vous laisse à penser mon inquiétude. Vous avez dû en province être dans des transes égales aux nôtres. Comment cela finira-t-il ? Il est donc vrai que l’humanité est destinée à être ballottée sans cesse entre tous les extrêmes et que le langage de la raison est toujours le dernier qu’on écoute.

Il me semble que vous ne me dites pas si vous avez de l’occupation ; cela serait au moins un adoucissement dans vos chagrins. Je les partage sincèrement, car j’ai eu ma part de ces souffrances irréparables et surtout à mesure qu’on avance dans la vie.

Je pense souvent aussi et avec bien du plaisir à nos travaux ; ce souvenir me reporte à tant de choses qui ont changé que j’ai peine à croire que de tels moments puissent renaître. Quand serons-nous ensemble devant une belle muraille, la brosse en main, n’ayant pas d’autres soucis que de faire le mieux possible !3

Adieu, mon cher Lassalle, je vous embrasse et vous envoie mes vœux pour votre bonheur.

À vous bien sincèrement.

Eugène Delacroix



1 Certainement à Champrosay.
2 Émeutes des 23 au 26 juin 1848 dites les "journées de juin". Ces émeutes faisaient suite à la suppression des ateliers nationaux. La répression sanglante fut menée par le général Cavaignac, investi de pouvoirs dictatoriaux.
3 Dans une lettre du 4 juin 1880, Lassalle-Bordes informe Burty que ces passages furent soulignés dans un second temps : "Vous serez probablement surpris de voir certains passages des lettres soulignés. Ils le furent par mon avocat lors de mon premier procès", à ce propos voir la lettre du 16 novembre 1849.

Transcription originale

Page 1

Monsieur Lasalle Bordes
Peintre
à Bezolles pres Condom
Gers
[Valence Gers]

Page 2

Page 3

4 sept. 1848.

Mon cher Lasalle,

Je ne reçois qu’à présent la bonne
lettre que vous m’ecrivez : je vis à la
campagne presque continuellement : cela
explique le retard de votre lettre. Je me
trouve bien de ce regime au physique et
au moral. à Paris il m’etait impossible
de travailler : les inquietudes reelles ou
chimeriques contribuaient egalement
à m’en empêcher. [mot barré illisible] J’etais à la campagne
quand les troubles affreux de Juin ont
eclaté et je vous laisse à penser mon
inquietude : vous avez du en province être
dans des transes égales aux nôtres : Com-
-ment cela finira t’il ? il est donc vrai que
l’humanité est destinée à etre balottee

Page 4

sans cesse entre tous les extrêmes et
que le langage de la raison est toujours
le dernier qu’on ecoute.

Il me semble que vous ne me dites
pas si vous avez de l’occupation : cela
serait au moins un adoucissement dans
vos chagrins : je les partage sincerement,
car j’ai eu ma part de ces souffrances ir-
-reparables et surtout à mesure qu’on
avance dans la vie.

Je pense souvent aussi et avec bien
du plaisir à nos travaux : ce souvenir
me reporte à tant de choses qui ont
changé, que j’ai peine à croire que de
tels moments puissent renaître. Quand
serons nous ensemble devant une belle
muraille, la brosse en main, n’ayant pas
d’autres soucis que de faire le mieux
possible !

Adieu mon cher Lasalle : je vous
embrasse et vous envoie mes vœux pour
votre bonheur. À vous bien sincerement.

EugDelacroix

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