Lettre à Henriette de Verninac, 6 février 1821

  • Cote de la lettre ED-IN-1821-FEV-06-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 06 Février 1821
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 71-74.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 23,7x36,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 26
  • Données matérielles Manques dans le feuillet droit
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Transcription modernisée

À Madame Verninac
Poste restante
à Mansle, Charente

Le 6 février 1821

Tu as été surprise, ma chère sœur, de ne point recevoir de réponse de moi au sujet de l’affaire des Petits Augustins et de l’argent envoyé à cet effet. Je pense que tu es maintenant rassurée et je ne conçois pas que tu ne l’aies pas été plus tôt par Charles qui devait t’en parler dans une des ses lettres il y a déjà longtemps ; mais dans tous les cas, et pour éviter de nouvelles inquiétudes, j’ai reçu les 132 francs et les [ai] employés à l’usage convenu. Tu te plains de ma négligence, tu accuses ma froideur à t’écrire : mon Dieu, quel plaisir n’aurais-je pas à entretenir avec toi la correspondance la plus suivie si les plus maudites affaires ne venaient dans chacune de mes lettres réclamer, presque toutes les fois, mes quatre pages. Je pourrais encore malgré tout cela, dis-tu, trouver moyen d’écrire davantage ; mais à chaque nouvelle lettre, nouvel embarras à communiquer, nouvel argent à demander ; et tel est l’effet que me font tous ces détails désagréables à t’envoyer, que je commence toujours une lettre comme un homme qui a un poids sur l’estomac ou un fantôme devant les yeux. Avant de te parler d’autres choses, il faut un peu parler de l’appartement1. Les Anglaises2 qui habitent notre second m’ont fait des politesses et m’ont invité à dîner ; ce qui fait que je suis obligé quelquefois de leur faire des visites. Je t’avoue que je ne vais savoir que leur dire quand elles verront à louer l’appartement du premier. Tu veux leur faire un mystère de leur renvoi en cas de location. Mais elles ne peuvent être assez simples pour ne pas voir de suite ce qui en est. Où penseront-elles qu’on puisse mettre tous les meubles qu’elles ont vu déménager, et où imagineront-elles des chambres de domestiques à donner à un appartement comme celui du premier, quand elles ont les plus grandes pour ne pas dire qu’elles les ont toutes ; encore se plaignent-elles continuellement à moi de l’exiguïté de ces chambres. Tout ce que je te dis vient d’abord du peu de personnes qui se présentèrent pour louer l’appartement du premier l’année dernière. Encore, aucune d’elles ne voulait-elle faire de bail, m’en donner le prix demandé ; en second lieu, ces Anglaises qui sont casées et se croient établies solidement chercheront de suite un autre logement, et nous courrons risque de passer encore toute la belle saison et plus sans locataire.

Quant au compte à donner au portier, j’ai déjà commencé à lui donner en compte avec l’ancien toutes les choses à mon usage. Mais je crois inutile de lui donner en compte les habits et autres porcelaines qui sont sous clef. Ce déménagement du deuxième au premier a été fait dans un grand désordre. Mon oncle faisait l’entendu et voulait se charger de tout, de façon que l’ancienne portière, quand je me plains de quelque chose, disait toujours, c’est M. Pascot qui a  voulu tout faire et ne m’a point laissé ranger comme je le désirais. Les meubles souffrent aussi de ces remue-ménages et se sont trouvés à mon arrivée dans un grand désordre.

J’ai reçu les 154 francs du panier au lièvre, ainsi que les serviettes qu’il renfermait. J’ai reçu également hier avec ta dernière lettre, venue par Piron, la lettre de change de 46 francs.

Je crois t’avoir dit que nos nouveaux portiers qui sont, d’après toutes sortes de témoignages de fort honnêtes gens, sont fort malheureux, parce que la femme vient de faire une très longue maladie, dont elle n’est pas tout a fait remise, et qui a absorbé toutes leurs ressources. Ils m’ont prié de leur avancer leur quartier et je l’ai fait. L’homme qui travaille en chapeaux de paille aura de l’ouvrage d’ici à la fin du mois, et la femme, une fois remise de sa maladie, trouvera également à s’occuper. Elle coud et fait toutes sortes d’ouvrages. Le lycée a encore envoyé pour la deuxième ou troisième fois. Il m’a fallu, comme tu penses, renvoyer ; j’ai promis pour d’ici à une quinzaine [lacune]. C’est, je crois, 186 francs qui lui sont dûs.

Adieu ma chère sœur, porte-toi bien. Je crains pour ma part d’avoir rattrapé la fièvre malgré tous mes soins pour les suites ; je crois en avoir déjà éprouvé deux petits accès3. Je redouble de ménagements pour qu’elle en reste là. Si elle continuait, je ne sais trop qui je consulterais ; car pour ce qui est de M. Chaussier, je crois que je mourrai des soins d’un autre que des siens. Notre connaissance, qui ne date pas de bien loin, n’aura pas d’autres suites. Adieu donc, je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que mon beau-frère.

E. Delacroix

J’ai touché les rentes. J’emploierai la tienne à ce que tu dis. Mais pour la mienne, tu sens que je ne peux suffire à toutes ces dépenses, donner souvent 3 francs ou 8 francs par jour à un modèle avec mes 130 francs.

 


1 Il est ici question de l’hôtel familial du 114, rue de l’Université à Paris. Henriette et Raymond de Verninac, ruinés, étant partis vivre à la Forêt de Boixe, Delacroix s’occupait d’en assurer la sous-location.
2 Les soeurs O’Fareill, sous-locataires au 114, rue de l’Université.
3 Delacroix souffre de fortes fièvres depuis un séjour auprès de sa soeur dans le Forêt de Boixe, en septembre 1820.

Transcription originale

Page 1

À Madame

Madame Verninac

Poste restante.

à Mansle.

Charente.

Page 2

le 6 fevrier 1821

Tu as eté surprise, ma chere sœur, de ne point recevoir de reponse
de moi au sujet de l’affaire des petits Augustins et de l’argent envoyé à cet
effet. Je pense que tu es maintenant rassurée et je ne conçois pas que tu
ne l’aies pas eté plutot par Charles qui devait t’en parler dans une des ses lettres
il y a deja longtemps ; mais dans tous les cas et pour eviter de nouvelles
inquietudes, j’ai reçu les 132 fr. et les employés à l’usage Convenu. Tu te plains
de ma négligence : tu accuses ma froideur à técrire : Mon dieu quel plaisir
n’aurais je pas à entretenir avec toi la correspondance la plus suivie si
les plus maudites affaires ne venaient dans Chacune de mes lettres
reclamer presque toutes les fois, mes quatre pages. je [début d’1 mot barré illisible] Je pourrais encore
malgré tout cela dis tu trouver moyen d’ecrire davantage : mais à [mot interlinéaire] chaque
nouvelle lettre, nouvelle embarras à Communiquer, nouvel argent à
demander ; et tel est l’effet que me font tous ces details desagreables à
t’envoyer, que je Commence toujours une lettre Comme un homme qui
a un poids sur l’estomac ou un fantome devant les yeux. avant
de te parler d’autres choses, il faut un peu parler de l’appartement.
Il Les anglaises qui habitent notre second m’ont fait des politesses et
m’ont invité à diner. Ce qui fait que je suis obligé quelquefois de
leur faire des visites. Je t’avoue que je ne vais savoir que leur dire
quand elles verront à louer l’appartement du 1er. Tu veux leur faire
un mystere de leur renvoi en cas de location. Mais je crains davantage

Page 3

[1 tache] Mais elles ne peuvent être assez simples pour ne pas voir
desuite ce qui en est. où penseront elles qu’on puisse mettre tous les
meubles qu’elles ont vu démenager, et où imagineront elles des chambres
de domestiques à donner à un appartement Comme celui du premier
quand elles ont les plus grandes pour ne pas dire quelles les ont toutes ;
encore se plaignent elles continuellement à moi de l’exiguité de ces chambres.
Tout ce que je te dis, [1 petit mot barré] vient [mot interlinéaire] d’abord, [4 mots barrés illisibles] du peu de personnes
qui se presenterent pour louer l’appartement du 1er. l’année derniere
encore, aucune d’elles ne voulait elles faire de bail, m’en donner le prix
demandé ; en second lieu, ces Anglaises qui sont casées et se croyent établies
solidement Chercheront de suite un autre logement, et nous courrons risque
de passer encore toute la belle saison et plus sans locataire.

Quand au compte à donner au portier j’ai deja commencé à lui donner
en compte avec l’ancien toutes les choses à mon usage. Mais je crois
inutile de lui donner en compte les habîts et autres porcelaines qui sont
sous clef. Ce demenagement du 2e. au premier a eté fait dans un
grand desordre. Mon oncle qui fesait l’entendu et voulait se charger
de tout de façon que l’ancienne portière quand je me plains de quelque
chose disait toujours, c’est Mr. Pascot qui a  voulu tout faire et ne m’a
[plusieurs mots raturés] point laissé ranger Comme je le desirais. Les
meubles souffrent aussi de ces remues menages et se sont trouvés à mon
arrivée dans un grand desordre.

J’ai reçu les 154 fr. du panier au lièvre ainsi que les serviettes qu’il

Page 4

renfermait : j’ai reçu egalement hier avec ta derniere lettre venue
par Piron, la lettre de change de 46 fr.

Je ne sais crois t’avoir dit que nos nouveaux portiers qui sont, d’après
toutes sortes de témoignages de fort honnêtes gens, sont fort malheureux,
parceque la femme vient de faire une très longue maladie, dont elle n’est pas
tout a fait remise qui, et qui a absorbé toutes les leurs [mot interlinéaire] ressources. Comme ils m’ont
prié de leur avancer leur quartier et je l’ai fait. l’homme qui travaille en chapeaux
de paille, aura de l’ouvrage d’ici à la fin du mois, et la femme une fois
remise de sa maladie, trouvera egalement à s’occuper. elle cout et fait toutes
sortes d’ouvrages. _ Le Lycée a encore envoyé pour la 2e ou 3e fois. Il m’a
fallu Comme tu penses renvoyer : j’ai promis pour d’ici à une quinzaine
[lacune] C’est je crois 186 fr. qui lui sont dus.

[Adieu ma] chère sœur : portes toi bien. Je crains pour ma part d’avoir
ratt[rappé] [l]a fievre malgré tous mes soins pour les suites : je crois en avoir
deja eprouvé 2 petits accès : je redouble de ménagements pour qu’elle
en reste [1 petit mot barré] la. Si elle continuait, je ne scais trop qui je consulterais ; car pour
ce qui est de Mr. Chauffier, je crois que je mourrai des soins d’un autre
que des siens. Notre connaissance qui ne date pas de bien loin, n’aura [2 mots barrés]
pas d’autres suites. Adieu donc je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que
mon beaufrere.

E. delacroix

J’ai touché les rentes. j’emploirai la tienne à ce que tu dis. Mais
pour la mienne, tu sens que je ne peux suffire à toutes ces depenses, donner souvent
3 fr ou 8 fr par jour à un modèle avec mes 130 fr.

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