Lettre à Henriette de Verninac, 14 avril 1821

  • Cote de la lettre ED-IN-1821-AVR-14-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 14 Avril 1821
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 78-81.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 23,6x37,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 30
  • Cachet de la poste P
  • Données matérielles Manque dans le feuillet droit et sur la bordure droite
Agrandir la page 1
Agrandir la page 2
Agrandir la page 3
Agrandir la page 4

Transcription modernisée

[16 mars]
A Madame Verninac
Poste restante.
A Mansle. Charente

le 14 avril 1821

Mon étonnement est grand, ma chère soeur, en apprenant que vous ne recevez point de journaux. Je fis d’abord comme je crois te l’avoir marqué, l’abonnement au commencement du mois dernier : je le fis chez mon libraire au Palais Royal. Apprenant que tu ne le recevais pas, je fus plusieurs fois chez lui. Il me dit de voir au bureau du courrier : au bureau on avait apparement perdu et oublié l’abonnement du libraire et il n’en n’était point fait mention. Je retournai donc tout fiévreux chez mon libraire et sur la lettre de mon beau-frère, je lui dis de retirer l’argent du courrier et d[e t’]abonner au Constitutionnel1. Il me fallut encore m’y traîner pour avoir sa réponse et il me dit enfin avoir fait l’abonnement effectivement au Constitutionnel à partir du 15 mars. Je suis parti dans cette assurance et j’ai dormi tranquille sur cette affaire jusqu’à la réception de ta lettre qui m’étonne au dernier point. J’écris sur le champ à ce libraire pour savoir ce qu’il en est ; car je suis obligé de garder la chambre et ne peux y aller moi même.  Ma fièvre est devenu tierce et les promenades ne sont pas amusantes avec cela. Je suis bien fâché de la privation que vous éprouvez ; dans ce moment surtout où on a si grand besoin de nouvelles ; mais j’ai fait ce que j’ai pu. Je ne sais où tu prends que j’imagine que vous nagez dans l’argent : vous ai-je beaucoup importuné par des demandes de cette espèce ? Ne voilà t-il pas trois mois que j’ai avancé les gages du portier que je reçois maintenant ; n’y a t-il pas trois mois que j’ai payé à M. Chaussier 20 francs et à l’apothicaire 12 francs ? T’ai-je souvent parlé de cette somme ? T’ai-je parlé du bois qu’il m’a fallu acheter ? J’en suis à ma quatrième demi-voie2 ; tout cela cependant m’a coûté de l’argent. T’ai-je parlé de l’argent que j’ai dépensé en modèles pour mon tableau3 : je dois encore la toile depuis quatre mois et je voudrais bien la payer. Je ne parlerai pas non plus d’une somme que je me suis trouvé [à] avancer à l’époque du dernier payement du loyer. C’était de ma faute. Je crus avoir bien compté et quand il fallut payer, il se trouva un déficit que je comblai de ma bourse. J’ai été dernièrement obligé de consulter M. Dubois pour ma fièvre. Je désirais en finir et ne pas me confier à un charlatan. J’y ai été trois ou quatre fois et il m’en a coûté 30 francs. Ajoutez-y 10 francs de potion en deux fois, avec laquelle il me coupe ma fièvre, tu jugeras s’il m’a fallu sur tout le reste user d’économie, pour faire face à toutes les dépenses. J’ai toujours oublié dans mes lettres de te parler de ta rente. Elle est tout entière et se monte à 68 francs. Je donnerai suivant ton intention ce qui est dû à la cousine et Charles distribuera le reste à tes ouvriers, parce que je ne veux point paraître chez M. Oudot4. Tu penses bien que manquant d’argent j’ai été obligé à diverses reprises de t’emprunter quelque chose : mais chaque fois que je recevrai de l’argent [je te remettais] la somme.

J’ai été consulter ton M. Leroy5. Il m’a eu l’air d’un marchand d’orvietan et pas d’autre chose. Il me voulait purger 10 ou 12 fois de suite seulement pour essayer ; j’avais à l’entendre le foie, la rate et tout ce qui s’ensuit obstrué, chargé de bile et d’humeur horribles. M. Dubois m’a tâté avec le plus grand soin toutes ces parties : il a trouvé qu’il n’y avait rien d’engorgé ni d’obstrué et m’a ordonné le régime le plus doux possible, qui me débarasse de ma fièvre, malgré M. Leroy.

Adieu ma chère soeur, porte toi bien. Je t’embrasse de tout mon coeur et sois persuadée que je n’ai point employé cette misérable somme de 18 francs comme tu l’appelles à autre chose qu’à l’abonnement qui est  fait depuis un mois et demi.

E. Delacroix

J’oubliais aussi de te parler de l’argent que Charles me doit.


1Quotidien politique fondé par Joseph Fouché en 1815 à Paris, Le Constitutionnel se fait l’écho des opinions politiques de la gauche modérée. Regroupant les libéraux, les bonapartistes et les anticléricaux, il compte parmi ses rédacteurs les plus fameux Antoine Jay, Louis-Augustin-François Cauchois-Lemaire ou Adolphe Thiers. Il devient autour de 1830 le premier quotidien français et joue un rôle notable dans l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte en 1848.
2 Mesure de bois. En 1800 à Paris, une demie voie équivaut à une stère.
3 Probablement La Vierge du Sacré-Coeur, tableau commandé pour la cathédrale de Nantes à Géricault à la fin de 1799 et confié par celui-ci à Delacroix. L’œuvre achevée en 1821 est aujourd’hui conservée dans la cathédrale d’Ajaccio (Jobert, p. 62). Voir aussi les lettres à sa soeur du 28 juillet 1820, 12 août 1820, 25 janvier 1821, 18 juin 1821, 8 décembre 1821 et 16 janvier 1822.
4 Le mari de Mme Oudot, marchande lingère.
5 Médecin soignant Henriette. Delacroix le consulte en 1821 et le dépeint à demi-mot comme un charlatan.

Transcription originale

Page 1

16 mars [en haut, au-dessus de l’adresse, dans le sens inverse]

 

À Madame

Madame Verninac

Poste restante à

Mansle.

Charente

Page 2

le 14 avril 1821

Mon etonnement est grand, ma chere soeur, en
apprennant que vous ne recevez point de journaux.  je fis
d’abord comme je crois te l’avoir marque, l’abonnement au
commencement du mois dernier : je le fis chez mon libraire au
palais royal. apprenant que tu ne le recevais pas, je fus
plusieurs fois chez lui. il me dit de voir au bureau du courrier :
au bureau on avait apparement perdu et oublié l’abonnement
du libraire et il n’en n [lettre barrée] était point fait mention. je retour-
nai donc tout fievreux chez mon libraire et sur la lettre
de mon beau frere, je lui dis de retirer l’argent du courrier et
d’abonner au Constitutionnel. Il me fallut encore m’y trainer
pour avoir sa reponse et il me dit enfin avoir fait l’abonne-
-ment effectivement au Constitutionnel à partir du 15 mars.
Je suis parti dans cette assurance et j’ai dormi tranquille sur
cette affaire jusqu’à la reception de ta lettre qui m’etonne au
dernier point j’ecris sur le champ à ce libraire pour savoir ce
qui en est ; Car je suis obligé de garder la chambre et ne peux
y aller moi meme Ma fievre est devenu tierce et les promenades

Page 3

ne sont pas amusantes avec cela. Je suis bien faché de la
privation que vous eprouvez ; dans ce moment surtout où on a
si grand besoin de nouvelles ; mais j’ai fait ce que j’ai pu.
Je ne sais où tu prends que j’imagine que vous nagez dans l’argent :
Vous ais je beaucoup importuné par des demandes de cette
espèce . . Ne voila t il pas trois mois que j’ai avancé les gages
du portier que je reçois maintenant ; n’y a t il pas trois mois
que j’ai payé à Mr Chaussier 20 f. et à l’apotticaire 12 f.
t’ais je souvent parlé de cette somme ? t’ais je parlé du
bois qu’il m’a fallu acheter ? j’en suis à ma 4eme demi Voie ;
tout cela cependant m’a couté de l’argent. T’ai je parlé de
l’argent que j’ai depensé en modèles pour mon tableau : je
dois encore la toile depuis 4 mois et je voudrais bien la
payer. Je ne parlerai pas non plus  de depenses faites [trois mots barrés] [plusieurs mots illisibles et barrés, interlinéaires] d’une somme
que pour la quel
[quatre mots barrés] que [mot interlinéaire] je me suis trouvé avancer à l’epoque du dernier
payement du loyer. C’était de ma faute. Je cru avoir bien
compté et quand il fallut payer, il se trouva un deficit que je
comblai de ma bourse. j’ai été dernierement obligé de consulter
Mr. Dubois pour ma fievre. [un mot illisible et barré]je desirais en finir

Page 4

et ne pas me confié à un charlatan. J’y ai eté trois ou quatre
fois et il m’en a couté 30 fr. ajoutez y 10 f. de potion en
deux fois, avec laquelle il me coupe ma fievre, tu jugeras
s’il m’a fallu sur tout le reste user d’economie, pour faire
face à toutes les depenses. J’ai toujours oublié dans mes
lettres de te parler de ta rente. elle est tout entiere et se monte
à 68#. Je donnerai suivant ton intention ce qui est du à
la cousine et charles distribuera le reste à tes ouvriers, par-
-ceque je ne veux point paraître chez Mr. Oudot. Tu penses bien que
manquant d’argent j’ai eté obligé à diverses reprises de t’emprunter
quelque chose : mais [une lettre barrée] chaque fois que je recevrai de l’argent
[lettre déchirée] ta somme.

J’ai eté consulter ton M. Leroy. Il m’a eu l’air d’un Md dorvietan
et pas d’autre chose. Il me voulait purger 10 ou 12 fois de suite seulement
pour  essayer ;  j’avais à l’entendre le foie, la rate et tout ce qui s’ensuit
obstrué, chargé de bile et d’humeur horribles. Mr. Dubois m’a tâté
avec le plus grand soin toutes ces parties : il a trouvé qu’il n’y avait rien d’engorgé
ni d’obstrué et ma ordonné le regime le plus doux possible, qui me debarasse
de ma fievre, malgré M. Leroy.

adieu Ma chère soeur, Porte toi bien je t’embrasse de tout mon
coeur et sois persuadée que je n’ai point employé Cette miserable somme
de 18#. comme tu l’appelles à autre chose qu’à l’abonnement qui est fait depuis
un mois et demi.    E Delacroix

j’oubliais aussi de te parler de l’argent que Charles me doit.

Précédent | Suivant