Lettre à Henriette de Verninac, fin novembre-début décembre 1819

  • Cote de la lettre ED-IN-1819-XXX-XX-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date -- 1819
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 7-11.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 2
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 22,8x18,1
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 3
  • Données matérielles Il manque un feuillet au minimum
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Transcription modernisée

suite1.

de me marquer, si, dans le cas où je le rencontrerais, il faut le lui faire faire, sans t’avertir au préalable du prix qu’il en demande ; et s’il faut en charger un autre dans le cas où je ne pourrais trouver Herbet2.

Mon oncle qui s’est chargé de toucher nos deux rentes et de faire viser ton action de Lafaye n’a encore fait ni l’un ni l’autre (de manière que je suis un peu à court à cause de ce que j’ai dépensé pour toi. Il en résulte que ni Mme Oudot3 ni Mme Fortier4 ne sont payées). À propos de mon oncle, je te mets ici l’adresse qu’il m’a donnée pour envoyer les bourriches, si vous êtes assez heureux et assez bons pour le pouvoir : M. Dèprez, chef de la Seconde division aux Messageries royales à Paris.

(Je croyais t’avoir marqué que j’avais passé à notre retour chez le maître de poste de Toury5, qui m’a dit le plus poliment du monde qu’il n’avait rien retrouvé et entendu parler de rien. J’aurais mieux aimé qu’il me jetât au nez ta broderie et qu’il me rendît avec humeur ce que nous avons perdu. Mais malheureusement il faut y renoncer.)

Je t’ai acheté une loupe et je vais ce matin t’acheter un outil à greffer : je n’ai pu obtenir que dans ce moment celui du jardinier de la princesse6 afin de le montrer au coutelier pour en avoir un pareil. Quand à la manière de se servir de la loupe, il faut observer ceci. S’accoutumer à la mettre aussi près de son œil que possible, en rapprocher l’objet jusqu’à ce qu’il soit au point convenable et tourner à moitié le dos au jour, pour que l’objet soit bien éclairé. Comme la princesse de Bourbon a changé de jardinier, je ne pourrai t’avoir le pot de violettes que tu me demandes : je t’ai acheté des graines que tu m’as désignées et de toutes le moins possible. Je ne sais si je fais bien de t’envoyer tout cela par les rouliers, en même temps que le reste des choses que je fais partir : mais je ne crois pas que tu veuilles le recevoir par une autre voie. Tu me l’aurais écrit. Tu trouveras dans ta caisse la pelote en acier. Nous l’avons prise le moins chère possible : tu y verras aussi de la comète gros bleu et du carton pour deux valises. Comme Mme Lamey a des valises suffisamment, j’ai pris le parti de te faire coller une feuille de carton. J’ai bien trouvé du papier de la même couleur, mais le dessin n’est pas le même, il n’y en avait point d’autres.

Dis-moi sur quel pied il faut faire payer des impositions et les portes et fenêtres au Monsieur qui loue l’appartement7. Nous avons fait ensemble un petit écrit sur papier timbré qui me rassure sur toutes les conditions.

Voilà bien des choses que je te dis et je suis sûr que j’en oublie encore. Cependant, j’ai beau me gratter la tête, je crois que voilà tout. Je crains bien aussi que tu ne trouves que j’ai été bien lent à expédier tout cela. Pourtant j’ai fait mon possible. Je te saurai dire dans ma prochaine lettre comment tout cela aura été réglé avec la maison de roulage.

Je n’ai pas joint à cet envoi ton livre de botanique, parce que j’espère pouvoir le faire partir sous bande et que de cette manière tu l’auras plus tôt. Je te l’aurais déjà expédié si mon oncle qui n’en finit pas avait bien voulu toucher cette rente.

Je crois que les vacances prochaines me verront encore, ou je me trompe beaucoup chasser quelques lièvres de vos côtés. Ce ne serait pas non plus un médiocre plaisir que d’aller en Quercy8. Ce serait une agréable variété et il se joindrait aux plaisirs de la campagne la douceur de se trouver un grand nombre d’amis réunis. Tu te plains que je ne te dise point de nouvelles : j’en sais bien peu. D’ailleurs ton journal va t’en régaler. Une chose qui m’inquiète, c’est qu’on m’a dit que ce journal, L’Indépendant9, était non seulement peu estimable à cause de sa grande exagération, mais assez ennuyeux parce que c’est un journal tout militaire et plein de choses qui ne concernent que l’armée. Quand je l’ai su, l’abonnement était fait de sorte qu’il n’y avait pas à en revenir.

Voila la note de ce que tu me dois.

Cabriolet pour reconduire Charles : il faisait un temps affreux : 1,25

Donné à mon oncle pour surplus de la pension de Charles qu’il
avait payée10, se montant à 126 francs 95 au lieu de 120 francs : 6,75

Pour le raccommodage de la malle de Charles : 2

Commissionnaires pour le déménagement du cabinet du 2 : 1,80

Pour le linge à toi que la blanchisseuse à rapporté : 1,05

Abonnement pour le mois à L’Indépendant9 : 24

La loupe : 5

Graines : 2,70

Ce qui fait, je crois 44 francs 55 centimes

Le prix de l’outil à greffer est de 2 francs, ce qui fait 46 francs 55 centimes.

Je te marquerai dans ma prochaine lettre quelques autres choses, telles que le prix de l’outil à greffer11 etc. Dis-moi un mot de ma caisse et si elle est partie. Il me semble que j’aurais dû le recevoir.

Adieu ma chère sœur ; je t’embrasse tendrement ainsi que mon beau-frère. Je te regrette bien : je sens bien vivement tout ce qui me manque depuis que je ne t’ai plus près de moi. Mais je le mérite bien : je n’appréciais pas assez ce bonheur-là quand j’en jouissais. Avec le temps peut-être : nous nous reverrons.

Eugène Delacroix


1 Le début de la lettre est manquant. Selon Joubin, ce courrier suit de très peu de jours celui envoyé par Delacroix à sa sœur le 13 novembre 1819, ce qui nous paraît clairement être une erreur. En effet, plusieurs éléments ici évoqués (la comète, le carton et les valises, l’imposition des portes et des fenêtres par le locataire de l’appartement, le livre de botanique) indiquent que la lettre fait plutôt suite à celle du 29 novembre 1819.
2 Non identifié.
3 Marchande lingère.
4 Non identifiée.
5 Commune d’Eure-et-Loir.
6 La duchesse de Bourbon, dont Pascot, oncle de Delacroix, était intendant.
7 L’hôtel des Verninac au 114, rue de l’Université à Paris, dont Delacroix assurait la sous-location.
8 Au château de Croze, propriété des Verninac près de Souillac, dans le Lot.
9 L’indépendant, journal politique, littéraire et militaire paraît du 8 mai 1819 au 13 avril 1820.
10 Au Lycée impérial, où Charles est scolarisé.
11 Delacroix le rajoute finalement, plus haut, sur cette lettre.

Transcription originale

Page 1

suite.

de me marquer, si, dans le cas où je le rencontrerais, il faut le lui faire faire, sans t’avertir
au prealable du prix qu’il en demande ; et si il faut en charger un autre dans le cas où
je ne pourrais trouver Herbet.

Mon oncle qui s’est chargé de toucher nos deux rentes et de faire viser ton action de Lafaye
n’a encore fait ni l’un ni l’autre (de manière que je suis un peu à court à cause de ce que j’ai
depensé pour toi. Il en resulte que ni Mde. Oudot ni Mde. Fortier [un mot illisible], ne sont payés : [un mot barré])
à propos de mon oncle, je te mets ici l’adresse qu’il m’a donnée pour envoyer les bourriches, si
vous etes assez heureux et assez bons pour le pouvoir : Mr. Dèprez, chef de la Seconde division
aux Messageries royales – à Paris.

(Je croyais t’avoir marqué que j’avais passé à notre retour chez le Mte de poste de Toury,
qui m’a dit le plus poliment du monde, qu’il n’avait rien retrouvé et entendu parler de rien.
J’aurais mieux aimé qu’il me jettat au nez ta broderie et qu’il me rendit avec humeur
ce que nous avons perdu. Mais malheureusement il faut y renoncer.)

Je t’ai acheté une loupe et je vais ce matin t’acheter un outil à greffer : je n’ai pu
t’obtenir que dans ce moment celui du jardinier de la princesse afin de le montrer au
coutelier pour en avoir un pareil. Quand à la manière de se servir de la loupe, il faut observer
ceci. S’accoutumer à la mettre aussi près de son œil que possible, en rapprocher l’objet jusqu’à
ce qu’il soit au point convenable et tourner à moitié le dos au jour, pour que l’objet soit bien
eclairé. Comme la princesse de Bourbon a changé de jardinier je ne pourrai t’avoir le pot
de violettes que tu me demandes : je t’ai acheté des graines que tu m’as désignées et de toutes
le moins possible. – Je ne scais si je fais bien de t’envoyer tout cela par les rouliers, en
même temps que le reste des choses que je fais partir : mais je [un mot barré] ne crois pas
que tu veuilles le recevoir par une autre voie. Tu me l’aurais ecrit. Tu trouveras dans ta
caisse la pelotte en acier. Nous l’avons prise le moins chere possible : tu y verras aussi de la
comète gros bleu et du carton pour 2 valises. Comme Mde Lamey a des valises suffisamment
j’ai pris le parti de t’envoyer te faire coller une feuille de carton. J’ai bien trouvé du papier
de la même couleur : mais le dessin n’est pas le même : il n’y en avait point d’autres.

Dis moi sur quel pied il faut faire payer des impositions et les portes et fenêtres au
Monsieur qui loue l’appartement. Nous avons fait ensemble un petit ecrit sur papier timbré
qui me rassure sur toutes les conditions.

 

Page 2

Voila bien des choses que je te dis et je suis sûr que j’en oublie encore. Cependant
j’ai beau me gratter la tête je crois que voila tout. Je crains bien aussi que tu ne trouves
que j’ai été bien lent à expedier tout cela : [trois mots barrés] Pourtant j’ai fait mon possible
je te saurai dire dans ma prochaine lettre comment tout cela aura été reglé avec [un mot illisible]
[un mot illisible] avec la maison de roulage.

Je n’ai pas joint à cet envoy, ton livre de Botanique, parceque j’espere pouvoir le
faire partir sous bande et que de cette manière tu l’auras plutôt. Je te l’aurais déjà
expedié si mon oncle qui n’en finit pas avait bien voulu toucher cette rente.

Je crois que les vacances prochaines me verront encore, ou je me trompe beaucoup
chasser [un mot barré] quelques lièvres de vos côtés. Ce ne serait pas non plus un mediocre plaisir
que d’aller en Quercy. Ce serait une agreable variété et il se joindrait aux plaisirs de
la campagne, la douceur [mots barrés] de se trouver un grand nombre d’amis réunis.
Tu te plains que je ne te dise point de nouvelles : j’en sçais bien peu. d’ailleurs ton journal
va t’en regaler. Une chose qui m’inquiete, c’est qu’on m’a dit que ce journal l’independant,
était non seulement peu estimable à cause de sa grande exageration, mais assez ennuyeux
parceque c’est un journal tout militaire et pleins de choses qui ne concernent que l’armee
Quand je l’ai su, l’abonnement était fait de sorte qu’il n’y avait pas à en revenir.

Voila la note de ce que tu me dois.         [rature]

Cabriolet pour reconduire Charles : il fesait un temps affreux       1  25
donné à mon oncle pour surplus de la pension de Charles qu’il
avait payée, se montant à 126fr95 au lieu de 120fr.                        6  75
Pour le raccommodage de la malle de Charles.                            2.
Commissionnaires pour le demenagement du cabinet du 2.      1  80
Pour le linge à toi que la blanchisseuse à rapporté                        1  5
abonnement pour le mois à l’indépendant.                                      24
La loupe                                                                                                   5              
graines                                                                                                     2  70

Ce qui fait je crois                                                                          44fr 55c

Le prix de l’outil à greffer est de 2 fr. ce qui fait 46fr 55c [situé à droite sur le feuillet]

Je te marquerai dans ma prochaine lettre quelques autres choses, telles que le prix de l’outil à greffer etc… ainsi
dis moi un mot de ma caisse et si elle est partie. il me semble que j’aurais du le recevoir.

adieu ma chere sœur ; je t’embrasse tendrement ainsi que mon beau frere. Je te regrette bien : je sens bien
vivement tout ce qui me manque depuis que je t’ai plus près de moi. Mais je le merite bien : je n’etais
n’appreciais pas assez ce bonheur la quand j’en jouissais. avec le temps peut etre : nous nous reverrons.

Eugene delacroix

 

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