Lettre à Henriette de Verninac, 5 janvier 1820

  • Cote de la lettre ED-IN-1820-JAN-05-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 05 Janvier 1820
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 17-21.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 25,7x40,8
  • Cachet de cire Oui
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 5
  • Données matérielles petites déchirures; petit trou
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Transcription modernisée

À Madame Verninac
Poste restante
à Mansle
Charente

Ce 5 janvier 1820

 

Nous voici arrivés à cette autre année, ma chère sœur : je joins mes compliments à ceux de Charles pour cette époque. Ce petit étourdi a oublié de me remettre sa lettre que j’aurais pu par ce moyen faire partir avec la mienne. Je te remercie bien de la jolie bourse que tu m’as envoyée. Elle me servira dans les grandes occasions, c’est à dire rarement : car je ne suis pas maintenant beaucoup plus répandu que je ne l’étais quand tu te trouvais à Paris. J’ai fait à peine deux visites jusqu’à ce jour. Il me faudra pourtant bien sauter le pas et en faire quelques unes. Je te dois également des remerciements pour les lièvres que nous avons reçus. Fais en mes compliments à M. Albert tout en me rappelant à son souvenir. Gadin1 doit être désespéré. Nous les avons mangés chez Mme Lamey. Ils sont arrivés très à propos.

J’ai reçu ces jours derniers une lettre que M. Boilleau a fait remettre à la maison. Il me demande si j’ai des nouvelles de mon beau-frère et si je savais qu’il dût bientôt envoyer l’argent des intérêts. Je lui ai répondu que je pensais que les voyages continuels qu’il avait été obligé de faire ce mois dernier de la Forêt à Poitiers et de Poitiers à la Forêt l’avaient empêché sans doute de s’occuper avec la même activité de la réunion des fonds nécessaires ; qu’au reste j’allais lui en écrire pour le lui rappeler.

Tu demandes à Charles dans ta dernière lettre des détails sur le locataire2. Il se nomme le comte de Senft3. C’est un Prussien ou un Saxon. Il va à la messe tous les jours, il communie tous les dimanches et envoie de temps en temps des poulets rôtis au curé des missions, dont il a grand soin dans ses maladies. Toutes les fois que j’ai eu occasion d’aller le voir pour régler nos comptes et nos conventions, je n’ai vu sur sa cheminée et sur sa table d’autre livre que l’Ordinaire de la messe de tous les formats possibles, et la Vie des Saints et des Pères du désert. Ce qui est plus important à connaître, c’est qu’il m’a payé avant hier le terme échu en janvier, y compris le sou pour livre du portier mais non l’impôt des portes et fenêtres qu’il me payera avec le reste, quand j’aurai su de Mme Cazenave4 à quoi il se monte. Marques-moi s’il faut employer cet argent à payer Mme Cazenave4 et si tu m’enverras de quoi compléter la somme qui lui est due5.

Je ne comprends pas bien ce que c’est que ce mandat de 300 francs que mon beau-frère m’a envoyé dernièrement. Comme il n’est à toucher qu’au mois de février, je pense que ce n’est pas pour ma pension. Tu me diras aussi sur quoi il faut payer ce qui est dû à la portière. Charles m’a dit qu’il était dû au tailleur du Lycée une dizaine de francs et je crois que cela ne doit pas être pris sur son argent.

J’ai fait sortir ce cher neveu ces jours passés, nous avons passé trois jours ensemble. Je l’ai mené au spectacle où nous avons vu la parodie de l’Opéra des Danaïdes6, où Potier nous a beaucoup amusés. Mme Lamey avait eu le courage d’y venir avec nous et elle ne s’en est pas mal trouvée.

J’espère que tu ne tarderas guère à recevoir la caisse de la pendule et les autres ustensiles dont j’ai fait faire un ballot suivant ton intention. Je me suis servi du roulage de Chenue7, qui m’a paru coïncider pour le prix avec les autres, ce qui m’a fait pencher pour lui. C’est je crois 7 francs ou 7 francs 50 centimes le cent. Il est dû à Chenue pour l’emballage environ 13 francs et, comme mon oncle a dû lui payer ces jours derniers son premier mémoire, il a avancé le montant du dernier.

Il gèle ici. Le temps a été affreux au jour de l’an. Une crotte humide et abondante. De la petite pluie, de la neige, mais toujours de l’humidité. Depuis hier environ le temps a tourné à la gelée. Je ne sais si l’almanach que je t’envoie avec le reste de tes affaires sera convenable et comme tu le désires : c’était, je crois, les changements de lune que tu m’avais recommandés.

[Je t’écris] de chez M. Guérin8. Tu en dois deviner la cause : c’est po[ur ne] pas faire trop de feu chez moi : ce qui fait que j’ai oublié de porter avec [moi] la lettre de notes de Charles que je voulais te transcrire. Le proviseur en est content et ses notes sont très satisfaisantes. Je te les transcrirai mot pour mot dans ma première lettre pour éviter d’augmenter le port.

C’est moi qui ai régalé cette année le jour de la Saint Sylvestre. Cela s’est fort bien passé. Nous avons bu deux saladiers de Punch9. Pierret et sa sœur sont très sensibles à ton souvenir et t’en remercient beaucoup.

Adieu ma chère sœur ; je pense que ta santé est toujours bonne puisque tu ne m’en parles pas. Je le désire bien. Celle de Charles est excellente. Je t’embrasse tendrement ainsi que mon beau-frère.

E. Delacroix

Tu ne me parles pas des travaux de la maison : si la cuisine est finie et si Mariette10 s’y trouve bien heureuse. Tu ne me dis pas si Mme Barbet11 sera bientôt à Paris. Comment va la tante12 et Courte Queue13 ainsi que les autres ; les jambons sont-ils bons? etc.

Parles-moi je te prie du procès de M. de Bizemont14.


1 Non identifié.
2
De l’appartement du 114, rue de l’Université à Paris, que Delacroix s’occupait de sous-louer pour Henriette et Raymond de Verninac.
3
Lecture incertaine. Il est également question de ce personnage dans la lettre à Henriette du 29 novembre 1819. Ce "Saxon, ambassadeur ou attaché de très près à l’ambassade" correspond certainement à Friedrich Christian Ludwig Senfft von Pilsach (1774-1853), diplomate et homme politique autrichien, qui avait notamment été ministre de Saxe en 1813.
Dans le carnet de comptes qu’il tient en 1819-1820, Delacroix note avoir reçu 472 francs en janvier 1820 de la part du locataire en question (Hannoosh, t. II, p. 1432).
4 Propriétaire de l’immeuble où se trouvait l’appartement que Delacroix s’occupait de sous-louer pour Henriette et Raymond de Verninac.
5 Dans le carnet de comptes qu’il tient à cette époque, Delacroix indique qu’il porte, le 15 janvier 1820, 640 francs à son oncle, dont 500 pour Mme Cazenave (Hannoosh, t. II, p. 1433).
6 Les Petites Danaïdes, parodie des Danaïdes d’Antonio Salieri (1750-1825) qui était alors jouée au Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Grâce au carnet de comptes que Delacroix tient alors, on sait qu’il paya les places 3 francs (Hannoosh, t. II, p. 1432).
7 Non identifié.
8 Delacroix était entré dans l’atelier de Guérin en 1815.
9 Delacroix note, dans son carnet de comptes, ses dépenses pour la soirée du 31 décembre, listant notamment le rhum et les oranges du punch qu’il offrit alors (Hannoosh, t. II, p. 1432).
10 Non identifiée, peut-être une domestique.
11 Barbet ou Barbot (lecture incertaine). Non identifiée.
12 Peut-être sa tante Anne-Françoise Bornot.
13 Probablement un animal.
14 Procès opposant Raymond de Verninac au comte de Bizemont au sujet de la forêt de Boixe.

Transcription originale

Page 1

 

À Madame

Madame Verninac

Poste restante

à Mansle

Charente

 

Page 2

Ce 5 janvier 1820.

 

Nous voici arrives à cette autre année, ma chère sœur : je joins mes
compliments à ceux de Charles pour cette époque. ce petit etourdi a oublié de
me remettre sa lettre que j’aurais pu par ce moyen faire partir avec la mienne.
Je te remercie bien de la jolie bourse que tu m’as envoyée. Elle me servira dans les
grandes occasions, c’est à dire rarement : car je ne suis pas maintenant beaucoup
plus repandu que je ne l’etais quand tu te trouvais à Paris. J’ai fait a peine
deux visites jusqu’à ce jour. Il me faudra pourtant bien sauter le pas et
en faire quelques unes. Je te dois egalement des remerciements pour les lièvres
que nous avons reçus. fais en mes compliments à Mr Albert tout en
me rappellant à son souvenir. Gadin doit être désésperé. Nous les avons mangés
chez Mde Lamey. Ils sont arrivés très à propos.

J’ai reçu ces jours derniers une lettre que Mr Boilleau à fait
remettre à la maison. Il me demande si j’ai des nouvelles de mon beau
frère et si je savais qu’il dût bientot envoyer l’argent des interêts. Je
lui ai répondu que je pensais que les voyages continuels qu’il avait été
obligé de faire ce mois dernier de [rature] la foret à Poitiers et de Poitiers à la
foret, l’avaient empeché sans doute de s’occupper avec la même activité
de la reunion des fonds nécessaires; qu’au reste j’allais lui en ecrire pour
le lui rappeller.

[deux mots barrés] Tu demandes à Charles dans ta derniere lettre des
détails sur le locataire. Il se nomme le comte de Senft. C’est un Prussien
ou un Saxon. Il va à la messe tous les jours : il communie tous les
dimanches et envoye de temps en temps des poulets rotis au curé des
missions, dont il a grand soin dans ses maladies. toutes les fois que j’ai eu
occasion d’aller le voir pour regler nos comptes et nos conventions, je n’ai vu sur

 

Page 3

sa cheminée et sur sa table d’autre livre que l’ordinaire de la messe
de tous les formats possibles, et la vie des Saints et des pères du desert. Ce
qui est plus important à connaitre, c’est qu’il m’a payé avant hier le
terme [mot barré] echu en janvier, y compris le sou pour livre du portier mais
[trois mots barrés] non l’impôt des portes et fenêtres qu’il me payera
avec le reste, quand j’aurai sur de Mde Cazenave, à quoi il se monte.
Marques moi s’il faut employer cet argent à payer Mde Cazenave et si
tu m’enverras de quoi completer la somme qui lui est due.

Je ne comprends pas bien ce que c’est que ce mandat de 300fr [trois mots interlinéaires] que
mon beaufrere m’a envoyé dernierement. Comme il n’est à
toucher qu’au mois de fevrier, je pense que ce n’est pas pour ma
pension. Tu me diras aussi sur quoi il faut payer ce qui est du à
la portiere. Charles m’a dit qu’il etait du au tailleur du Lycèe une
dixaine de francs et je crois que cela ne doit pas être pris sur son
argent.

J’ai fait sortir ce cher neveu ces jours passés, nous avons passé 3
jours ensemble. Je l’ai mené au spectacle ou nous avons vu la
parodie de l’opera des Danaïdes, où Potier nous a beaucoup amusés.
Mde Lamey avait eu le courage d’y venir avec nous et elle ne
s’en est pas mal trouvée.

J’espère que tu ne tarderas guère à recevoir la caisse de la pendule
et les autres ustensiles dont j’ai fait faire un ballot suivant ton
intention. Je me suis servi du roulage de Chenue, qui m’a paru

 

Page 4

coincider pour le prix avec les autres ; ce qui m’a fait pencher pour lui.
C’est je crois 7fr ou 7fr50c le cent. Il est du environ à Chenue pour l’emballage
environ 13 fr. et comme mon oncle a du lui payer ces jours derniers
son premier mémoire, il y a avancé le montant du dernier. – Si tu
desires
Il gèle ici. Le temps a été affreux au jour de l’an. Une crotte
humide et abondante. de la petite pluie, de la neige, mais toujours de
l’humidité. depuis hier environ le temps a tourné à la gelée. Je ne scais
si l’almanach que je t’envoye avec le reste de tes affaires sera convenable et
comme tu le desires : c’etait je crois les changements de lune que tu m’avais
recommandés.

[Je t’écris] de chez Mr. Guerin. tu en dois deviner la cause : c’est po[ur ne]
pas faire trop de feu chez moi : ce qui fait que j’ai oublié de porter avec [moi]
la lettre de notes de Charles que je voulais te transcrire. Le Proviseur en est
content et ses notes sont très satisfaisantes je te les transcrirai mot pour
mot dans ma premiere lettre pour eviter d’augmenter le port.

C’est moi qui ai regalé cette année le jour de la St Sylvestre. cela s’est
fort bien passe. Nous avons bu deux saladiers de Punch. Pierret et sa sœur
sont très sensibles à ton souvenir et t’en remercient beaucoup

Adieu ma chere sœur ; je pense que ta santé est toujours bonne
puisque tu ne m’en parles pas. Je le desire bien. Celle de charles est excellente
je t’embrasse tendrement ainsi que mon beau frere.

E. Delacroix

tu ne me parles pas des travaux de la maison : si la cuisine est finie et
si mariette s’y trouve bien heureuse. Tu ne me dis pas si Mde Barbot sera bientot à Paris :
Comment va la tante et Courte Queue ainsi que les autres : les jambons sont-ils bons. etc

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Parles moi je te prie du procès de Mr. de Bizemont.

 

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