Lettre à Jeanne-Mathilde Herbelin, 28 mars 1860

  • Cote de la lettre ED-AD-1860-MAR-28-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Jeanne-Mathilde HERBELIN
  • Date 28 Mars 1860
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque des Arts décoratifs
  • Éditions précédentes -
    , inédite.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,8x26,8
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. Lemaire, pièce 20
  • Œuvre concernée Pèlerins d'Emmaüs
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Transcription modernisée

Ce 28 mars 1860.

 

Madame,

Que je vous remercie de votre aimable souvenir ! J’avais espéré cet été, après que j’ai eu le plaisir de vous rencontrer à l’exposition1, d’aller vous présenter mes respects, mais j’ai quitté Paris presqu’aussitôt et n’y ai fait durant toute la saison que de rares apparitions. Revenu à la fin de l’automne2, je suis tombé malade presqu’aussitôt et me suis séquestré jusqu’à ce moment où ma convalescence est à peine commencée3. Je ne sors que depuis une huitaine de jour et point du tout le soir. L’invitation que vous avez la bonté de me faire4 sera la première infraction de tout cet hiver à mon régime de réclusion5. L’époque en étant encore distante me fait espérer que je pourrai m’y rendre, bien heureux de vous répéter de nouveau combien je suis pénétré pour vous de respect et d’admiration.

Eug. Delacroix

J’ai de bien vifs remerciements à vous adresser pour la complaisance que vous avez eue de confier à M. Petit pour l’exposition des peintres modernes6 le tableau des Pélerins d’Emmaüs7. Mais j’ai éprouvé en le revoyant le chagrin d’y remarquer combien les gerçures y ont fait de progrès. J’en ai parlé déjà avec M. Haro, restaurateur de tableaux très habile, qui m’a déjà sauvé quelques ouvrages de ce désastre. Je crois qu’il serait urgent de mettre le tableau dans ses mains. Je surveillerais l’opération et m’acquitterais avec bien du zèle de tout ce qu’il y aurait à faire pour compléter la réparation. Si vous consentez, comme je l’espère, à cette opération si nécessaire, vous auriez la bonté de me l’écrire et M. Haro ferait prendre chez vous le tableau, qu’il ne gardera que le temps indispensable.

 

[note au crayon d’une autre main, dans la marge du premier feuillet recto]
Le tableau avait été vendu à M. Michaud.


1 Sans doute le Salon d’avril 1859 où Delacroix comme Mme Herbelin exposaient.
Sur l’envoi de Delacroix au Salon de 1859 le dernier auquel il participe , voir Jobert, 1997, p. 268.
2 Delacroix fait un séjour à Strasbourg, du 18 août jusque début septembre 1859, chez son cousin Auguste Lamey ; au retour, il passe à Ante, chez son cousin Philogène. Il rentre à Paris à mi-septembre. En octobre, il est à Champrosay, puis, fin octobre-début novembre, il séjourne à Augerville chez son cousin Berryer. En novembre, on le retrouve de nouveau à Champrosay.
3 Dans une lettre à Louis Guillemardet du 6 janvier 1860, Delacroix écrit : "Cher ami, Je paie comme toi tribut à l’hiver. Depuis une quinzaine environ je ne quitte pas ma chambre". Dans de nombreuses lettres, jusque fin février, Delacroix écrit qu’il est malade et affaibli.
4 Cette invitation était pour le 11 avril suivant, voir lettre du 30 mars 1860.
5 Delacroix utilise déjà ce terme de "réclusion" dans une lettre à son cousin Auguste Lamey (23 février 1860).
6 Il s’agit d’une exposition de "Tableaux de l’école moderne tirés des collections d’amateurs et exposés au profit des artistes peintres, sculpteurs, architectes et dessinateurs" organisée par Francis Petit, à la Galerie Martinet, boulevard des Italiens. Delacroix y envoie seize tableaux, de différentes époques, empruntés à des collectionneurs (Joubin, t. IV, p. 145 ; Hannoosh, 2009, p. 1333, note 155. Voir à ce sujet les lettres à Tesse du 17 février 1860 et à Mahler du 15 mars 1860, et le Journal au 14 mars 1860).
7 Les Pèlerins d’Emmaüs (New York, The Brooklyn Museum ; huile sur toile marouflée sur bois, 56x46 cm), oeuvre exécutée en 1853 et présentée au Salon, au mois de mai de la même année.
Mme Herbelin souhaitait acquérir ce tableau comme Delacroix l’indique dans son Journal au 12 avril 1853 et dans sa lettre du même jour à la miniaturiste. Le 17 avril, Delacroix signifie à Mme Herbelin qu’il ne peut lui envoyer tout de suite le tableau puisqu’il le met en exposition au Salon. Mme Herbelin en prend possession courant novembre (lettre du 8 novembre 1853). En guise de remerciements, le peintre lui offre une "petite et très imparfaite esquisse", selon ses termes, intitulée Le Christ au Roseau (voir lettre du 8 mai 1853).

Transcription originale

Page 1

Ce 28 mars 1860.

 

Madame,

que je vous remercie de
votre aimable souvenir ! j’avais
esperé cet eté après que j’ai eu le
plaisir de vous rencontrer à l’exposition
d’aller vous présenter mes respects :
mais j’ai quitté Paris presqu’aussitot
et n’y ai fait durant toute la
saison que de rares apparitions.
Revenu à la fin de l’automne, je suis
tombé malade presqu’aussitot et
me suis sequestré jusqu’à ce moment
où ma convalescence est à peine
commencée. Je ne sors que depuis
une huitaine de jour et point du
tout le soir. l’invitation que vous

 

[note au crayon d’une autre main, dans la marge]
Le tableau avait
été vendu à
M. Michaud

Page 2

avez la bonté de me faire sera
la premiere infraction de tout
cet hiver à mon régime de réclu-
-sion : l’epoque en etant encore
distante me fait espere que je
pourrai m’y rendre, bien heureux
de vous repeter de nouveau
combien je suis penetré pour
vous de respect et d’admiration.

Eg Delacroix

J’ai de bien vifs remerciements
à vous adresser pour la complaisance
que vous avez eue de confier à
M. Petit pour l’exposition des peintres
modernes le tableau des Pelerins
d’Emmaüs : mais j’ai eprouvé en
le revoyant le chagrin d’y remar-
-quer combien les gerçures y ont fait
de progrès. J’en ai parlé deja avec

Page 3

Mr Haro restaurateur de tableaux
très habile qui m’a deja sauvé
quelques Ouvrages de ce désastre.
Je crois qu’il serait urgent de
mettre le tableau dans ses mains :
je surveillerais l’operation et m’acquit-
-terais avec bien du zèle de tout
ce qu’il y aurait à faire pour completter
la reparation. Si vous consentez
comme je l’espere à cette operation
si nécessaire, vous auriez la bonté
de me l’ecrire et Mr Haro
ferait prendre chez vous le tableau
qu’il ne gardera que le temps
indispensable.

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