Lettre à Henriette de Verninac, 16 mai 1822

  • Cote de la lettre ED-IN-1822-MAI-16-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire
  • Date 16 Mai 1822
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 122-124.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 24,1x36,6
  • Cachet de cire Oui
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 52
  • Données matérielles Manque sur la quatrième page
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Transcription modernisée

A Madame Veuve Verninac
Poste restante.
A Mansle, Charente

18 mai

Le 16 mai 1822.

J’ai reçu ta lettre du 11 mai où tu me donnes des détails sur la location de l’appartement1. Je t’avais déjà répondu dans le sens de ta lettre précédente où tu paraissais résignée à ne pas louer. Voilà malheureusement l’inconvénient de l’éloignement : par le croisement des lettres on se trouve toujours arrêté à la résolution que l’autre est occupé à combattre dans ce moment là même. J’espère le pouvoir louer, mais je crois qu’il est préférable de condamner le salon plutôt que le boudoir ; d’abord parce que j’ai reconnu qu’il était décidément trop passé et que la peinture aurait besoin de trop de réparations (car je t’avais parlé dans ma lettre de retoucher un peu la peinture du salon, celle des boiseries s’entend, et non pas de peindre des gravures, comme tu l’avais compris).

Le meuble rouge dans une location en garni courait de grands risques : tous les déménagements l’ont fatigué ; beaucoup de choses sont ébranlées et auraient besoin de raccommodages, sans parler des chaises dont tu connais la fragilité. Ensuite, le bureau ne saurait entrer dans le boudoir que tu veux condamner, et je ne saurais où le mettre. En renonçant à louer le salon, l’inconvénient d’y employer les rideaux de casimir disparaît, etc. Je crois que je pourrais louer l’appartement dans l’état où je te dis à une dame qui est de la connaissance des Anglaises qui logent dans la maison.

Le percepteur des contributions finit par me contraindre au paiement de la taxe de l’année dernière par voie d’huissier. J’avais toujours longé la courroye en donnant des acomptes, espérant avoir réponse à la réclamation que j’avais faite au préfet (réclamation que j’avais fait appuyer d’une protection que je me suis trouvée dans ses bureaux, mais qui n’a pas été forte assez jusqu’ici pour me faire rendre justice). Le total de l’imposition se montait à 79 francs , plus les frais que m’ont fait ces messieurs. J’ai payé plusieurs acomptes et enfin je suis forcé de tout solder. Je crois me rappeler que tu ne m’as envoyé que 10 francs pour les acomptes que j’avais déboursés ; ce serait donc encore 69 francs que tu me devrais. Cela me met furieusement à découvert ; et [je] ne sais comment j’atteindrai la fin du mois : tâche donc de m’envoyer cette somme le plus tôt possible.

Il m’est arrivé une chose fort désagréable. Ma portière étant occupée à nourrir son enfant, avait pris une femme de ménage dont elle me dit être bien sûre. Il me manque beaucoup de linge à moi et ce qui me contrarie le plus c’est qu’il y a de moins aussi deux des chemises de toile que Charles m’avait laissées. Je crains que cela ne lui fasse un déficit gênant à mon arrivée. Je compte, quand je recevrai l’argent de mon tableau, me remonter un peu en linge et en habits. La femme de ménage a été renvoyée, mais le vol n’en a pas moins été fait.

Je voudrais bien que mon cher Charles pût s’informer s’il y a à Angoulême quelque épicier marchand de couleurs en gros, chez lequel je puisse à la rigueur me fournir de couleurs plus grossières que celles plus indispensables que j’apporterai de Paris. Comme dans [ce] pays-là on peint aussi les boutiques, etc., il n’est pas probable [que] les peintres fassent venir de Paris tout ce dont ils ont besoin ; et pour plusieurs des choses que je me propose de faire là-bas, je me contenterai de couleurs moins fines. Qu’il sache aussi s’ils ont de l’huile d’œillet et de l’huile grasse pour faire sécher. Le moyen le plus sûr pour cela serait de s’entendre avec un peintre en bâtiments d’Angoulême. Cela me sera très important pour me régler sur les dépenses que je devrai faire ici.

Je t’ai dans ma dernière lettre, qui j’espère n’aura pas été interceptée, renvoyé l’effet de 3000 francs. Je n’ai pas encore éclairci le mystère qui couvre la perte des deux lettres dans l’une desquelles tu me l’envoyais.

Adieu, chère sœur et cher neveu, je vous embrasse tendrement et ne souhaite que vous. Il faut que mon cher neveu s’attende à me servir quelques fois de modèles ; je vais le trouver un Hercule. E. Delacroix

 


1 Au 114 rue de l’Université à Paris. Gênée financièrement, la famille Delacroix sous-loue cet appartement.

 

 

 

Transcription originale

Page 1

à Madame

Madame Ve Verninac

Poste restante.
à Mansle.
Charente

18 mai

 

Page 2

le 16 mai 1822.

J’ai reçu ta lettre du 11 mai où tu me donnes
des details sur la location de l’appartement. Je t’avais
deja répondu dans le sens de ta lettre precedente où tu
paraissais résignée à ne pas louer. voila malheureusement
l’inconvenient de l’eloignement ; par le croisement des
lettres on se trouve toujours arrété à la resolution que l’autre
est occupé à combattre dans ce moment là même. J’espere
le pouvoir louer : mais je crois qu’il est preferable de
condamner le salon plutot que le boudoir ; D’abord
parceque j’ai reconnu qu’il etait decidement trop
passé et que la peinture aurait besoin de trop de reparation
(car je t’avais parlé dans ma lettre de retoucher un peu
la peinture du salon, celle des boiseries s’entend, et non
pas de peindre des gravures, comme tu l’avais compris).

Le meuble rouge dans une location en garni
courrait de grands risques : tous les demenagements
l’ont fatigué : beaucoup de choses sont ebranlées et
auraient besoin de raccommodages, sans parler des
chaises dont tu connais la fragilité. Ensuite, le

Page 3

bureau ne saurait entrer dans le boudoir que tu veux
condamner, et je ne scaurais où le mettre. En rennoncant
à louer le salon, l’inconvenient d’y employer les rideaux
de casimir disparait & je crois que je pourrai
louer l’appartement dans l’etat où je te dis à une dame
[3 mots barrés] qui est de la connaissance des Anglaises qui
logent dans la maison.

Le percepteur des contributions finit par me
contraindre au payement de la taxe de l’année derniere
par voie d’huissier. J’avais toujours longe la courroye
en donnant des à comptes esperant avoir reponse à la
reclamation que j’avais faite au prefet ; (reclamation
que j’avais fait appuyer d’une protection que je me suis
trouvée dans ces bureaux : mais qui n’a pas eté forte
assez jusqu’ici pour me faire rendre justice.) Le total
de l’imposition se montait à 79. plus les frais que m’ont
fait ces messieurs. J’ai payé plusieurs à comptes et enfin
je suis forcé de tout solder. Je crois me rappeller que tu
ne m’as envoyé que 10fr. pour les à comptes que
j’avais deboursés ; ce serait donc encore 69fr. que tu me
devrais. Cela me met furieusement à découvert ; et ne
scais comment j’atteindrai la fin du mois : tache donc

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de m’envoyer cette somme le plutot possible.

Il m’est arrivé une chose fort desagreable. Ma portiere etant
occupée à nourrir son enfant, avait pris une femme de menage dont
elle me dit être bien sure. Il me manque beaucoup de linge à
moi et ce qui me contrarie le plus c’est qu’il y a de moins aussi
2 des chemises de toile que charles m’avait laissées. Je crains que cela ne
lui fasse un deficit [1 mot barré illisible] gênant à mon arrivée. [plusieurs mots raturés]
je compte quand je recevrai l’argent de mon tableau [1 mot raturé] me remonter un
peu en linge et en habits. La femme de menage a eté renvoyée : mais le
vol n’en a pas moins eté fait.

Je voudrais bien que mon cher Charles put s’informer s’il y a à
Angouleme quelqu’Epicier marchand de couleurs en gros, chez lequel
je puisse à la rigueur me fournir de couleurs plus grossières que celles [1 mot raturé]
j plus indispensables que j’apporterai de Paris. Comme dans [ce]
pays là on peint aussi les boutiques &… il n’est pas probable [que]
les peintres fassent venir de Paris tout ce dont ils ont besoin, et pour
plusieurs des choses que je me propose de faire là bas, je me contenterais
de couleurs moins fines. Qu’il sache aussi s’ils ont de l’huile d’œillet
et de l’huile grasse * [appel d’un renvoi]. Le moyen le plus sûr pour cela serait de s’entendre]
avec un peintre en batiments d’angoulême. ------- Cela me sera très
important pour me regler sur les depenses que je devrai faire ici. --- Je t’ai
dans ma derniere lettre qui j’espère n’aura pas été interceptée, renvoyé l’effet
de 3000fr. Je n’ai pas encore eclairci le mystère qui couvre la
perte des deux lettres dans l’une des quelles tu me l’envoyais.

Adieu, chere sœur et cher neveu : je vous embrasse
tendrement et ne souhaite que vous. Il faut que mon cher
neveu sattende à me servir quelques fois de modèles. je vais le
trouver un Hercule. E. Delacroix

[renvoi en bas de page, sous la signature :] pour faire secher.

 

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