Lettre à Henriette de Verninac, 11 mars 1822

  • Cote de la lettre ED-IN-1822-MAR-11-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 11 Mars 1822
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 109-110.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 23,8x18,6
  • Cachet de cire Oui
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms 241 pièce 45
  • Cachet de la poste [Cachet triangulaire rouge] P
  • Données matérielles trou feuillet droit
  • Œuvre concernée Barque de Dante (la)
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Transcription modernisée

À Madame Verninac
Poste restante
à Mansle,
Charente.

Le 11 mars 1822.

Ma chère soeur,

J’ai reçu tes deux dernières lettres et je n’ai pas manqué comme tu penses de signer les deux actes en question. Je suis bien profondément affligé de la crainte où vous êtes1 et qui vous décide à cette mesure. Je me flatte cependant que ce n’est qu’un acte de sollicitude et de prévoyance bien naturel, que l’évènement rendra inutile. Tes soins et ceux de ton Charles n’y seront pas indifférents, et si les miens pouvaient être de quelque efficacité je les joindrais aux tiens avec bien de l’empressement. J’espère pouvoir ce printemps avoir le plaisir de t’embrasser2 ; sois sûre au moins que si c’est un peu plus tard ce ne sera que malgré moi. Tu dois t’applaudir tous les jours d’avantage d’avoir gardé Charles auprès de toi. Outre la consolation qu’il t’apporte dans tes peines, combien ne te serait-il pas inquiétant de le savoir au milieu de ces troubles qui agitent l’école de droit3. Dis à ce cher neveu, que [je] le remercie bien de penser à moi. Le sujet de mon tableau qu’il me demande est tiré du Dante4. C’est celui dont je fis le dessin pendant ma fièvre à la Forêt.

J’ai fait aussi ta commission pour la rue de l’Université5. Sitôt que le papier sera arrivé, la portière me l’apportera et j’agirai ensuite comme tu me le marques. Ne recevant pas de réponse à la réclamation des impositions et étant toujours persécuté, j’ai encore porté un acompte de 10 francs. Depuis il est venu un escogriffe, pendant que je n’y étais pas, qui s’informant si l’appartement était à louer est venu le voir. L’ayant trouvé garni de meubles, et occupé par mon atelier, ainsi que tu m’en avais donné l’autorisation, il a prétendu que quoiqu’à louer, il pouvait être considéré comme habité. Depuis, sans que j’aie reçu réponse du préfet, on m’a renvoyé sommations sur sommations.

J’ai touché enfin le prix des deux miniatures. Mme Berton6 les a vendues 80 francs et a retenu pour sa peine 10 francs, ce qui fait 70 francs que j’ai à ta disposition. La saison n’a pas été rigoureuse ici.  Les boutons se développent de toutes parts et la Forêt ne tardera pas sans doute à offrir bien de l’agrément. Ce bon air devra contribuer au rétablissement de mon beau-frère. Tu ne me parles plus de ta santé, je pense que tu te portes bien. Je suis sûr que je ne reconnaîtrai plus Charles quand je le verrai.

Adieu chère sœur, je vous embrasse bien tendrement et désire vivement la fin de tant d’inquiétudes.

E. Delacroix

 


1 En raison de l’état de santé de Raymond de Verninac.
2 C’est-à-dire de se rendre auprès de sa soeur à la forêt de Boixe.
3 Des émeutes eurent lieu à l’Ecole de droit et dans tous le quartier latin suite à la mort de la duchesse de Bourbon, le 5 janvier 1822. Plus de deux cents étudiants furent arrêtés les 7 et 8 mars (Joubin, t. V, p. 109).
4 La Barque de Dante. On apprend ici qu’il en fit la première esquisse lors de sa fièvre à la forêt de Boixe, c’est-à-dire entre septembre et novembre 1820.
5 Pour des questions relatives au logement du 114, rue de l’Université à Paris, qu’Eugène Delacroix s’occupe alors de sous-louer pour le compte des Verninac.
6 Non identifiée.

Transcription originale

Page 1

à Madame

Madame Verninac

Poste restante

à Mansle

Charente

Page 2

Le 11 mars 1822

Ma chere soeur,

J’ai reçu tes deux dernieres lettres et je n’ai pas
manqué comme tu penses de signer les deux actes en
question. [2 mots barrés] Je suis bien profondement affligé de la
crainte où vous êtes et qui vous decide à cette mesure.
Je me flatte cependant que ce n’est qu’un acte de sollicitude
et de prevoyance bien naturel, [mot barré illisible] que l’evennement rendra
inutile. Tes soins et ceux de ton Charles n’y seront pas
indifferens et si les miens pouvaient être de quelqu’efficacité
je les joindrais aux tiens avec bien de l’empressement.
Jespere pouvoir ce printemps avoir le plaisir de t’embrasser :
sois sur au moins que si c’est un peu plus tard ce ne
sera que malgré moi. Je [plusieurs autres mots raturés illisibles] Tu dois
t’applaudir tous les jours d’avantage d’avoir gardé Charles
auprès de toi. Outre la consolation qu’il t’apporte dans
tes peines, combien ne te serait il pas inquietant de le
savoir au milieu de ces troubles qui agitent l’ecole
de droit. Dis à ce cher neveu, que le remercie bien de

Page 3

penser à moi. Le sujet de mon tableau qu’il me
demande est tiré du Dante. C’est celui dont je fis le
dessin pendant ma fievre à la forêt.

J’ai fait aussi ta commission pour la rue de l’université.
Sitot que le papier sera arrivé la portière me l’apportera,
et j’agirai ensuite comme tu me le marques.
Ne recevant pas de reponse à la reclamation des impo-
-sitions et etant toujours persecuté, j’ai encore porté
un acompte de 10 francs. Depuis il est venu un
escogriffe pendant que je n’y etais pas, qui s’informant
si l’appartement etait à louer est venu le voir. [1 mot barré]
L’ayant trouvé garni de meubles, et occuppé par
mon atelier ainsi que tu m’en avais donné l’autorisation
il a pretendu que quoiqu’à louer il pouvait etre
consideré comme habité. Depuis, sans que j’aie
reçu reponse du prefet, on m’a renvoyé sommations sur
sommations.

J’ai touché enfin le prix des deux [mot interlinéaire] miniatures. Me.
Berton les a vendues 80 fr. et a retenu pour sa peine
10 fr. ce qui fait 70 f. que j’ai à ta disposition.

Page 4

La saison n’a pas été rigoureuse ici.  Les boutons se
developpent de toutes parts et la foret ne tardera pas
sans doute à offrir bien de l’agrement. Ce bon air
devra contribuer au retablissement de mon beaufrère.
tu ne me parles plus de ta santé je pense que tu te
portes bien [plusieurs mots raturés illisibles] je suis sur que je ne
reconnaitrai plus Charles quand je le verrai.

Adieu [1 mot barré] chere sœur je vous embrasse bien tendrement
et desire vivement la fin de tant d’inquietudes.

E. Delacroix

 

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