Lettre à Henriette de Verninac, 2 mai 1822

  • Cote de la lettre ED-IN-1822-MAI-02-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 02 Mai 1822
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 112-114.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 19,2x27,2
  • Cachet de cire Oui
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms 241 pièce 47
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Transcription modernisée

À Madame Verninac
Poste restante
à Mansle.
Charente
.

le 2 mai 1822.

Ma chère soeur,

J’ai reçu de toi avant-hier une lettre datée du 25 qui semble en supposer une antérieure que je n’ai pas reçue. Tu m’y parles d’un effet de 3000 francs pour Paponneau que je n’ai pas reçu. On est venu hier matin pour le toucher. Il parait que mon frère en avait disposé pour une autre personne que Paponneau. L’effet était de M. Larue-Chataignier, mon beau-frère l’avait passé à l’ordre de mon frère qui l’avait donné à M. Ventries duquel il était venu à un M. Picard qui l’avait passé à la banque. Tu conçois l’embarras excessif où je me suis trouvé. D’un côté, on venait toucher ces 3000 francs et je n’avais pas même reçu la lettre de change ; de l’autre, il n’y était pas question du tout de Paponneau. Quant à cette dernière objection, j’ai bien pensé tout de suite que mon frère en avait disposé autrement que tu ne pensais. J’ai donc été de suite, et d’après les directions de M. Boilleau, faire faire des recherches à la poste qui ne pourront avoir de résultat que dans quelques jours. J’ai été ensuite chez ce M. Picard, mais cet homme qui ne nous connaît nullement, qui se voit obligé de payer à la banque cet effet qu’il lui avait passé sur nous, m’a dit qu’il ne pouvait se dispenser de faire un protêt. Je lui ai peint la triste situation où tu te trouves1 ; mais tu vois qu’il était impossible qu’il cédât à ces considérations. Faut-il donc que tous les malheurs arrivent ensemble, et ne cesseras-tu pas d’être persécutée ! J’étais aussi très embarrassé relativement à Dumas et Aubert auprès desquels tu m’avais recommandé de ne pas paraître. Je n’osais aller les prier de ne payer à personne. Je m’y décide pourtant ce matin. Aussi bien la contrainte ne pourrait-elle pas avoir lieu ; l’échéance devant être passée pour toucher auprès d’eux puisque celle du billet de mon beau-frère à mon frère avait lieu hier. Dans les affaires que tu me donneras à suivre, ne néglige pas, ma chère sœur, de détailler autant que tu le pourras les raisons qui te font agir, parce que, comme tu le vois dans des circonstances comme celles-ci, il y a mille cas où on est obligé de ne prendre conseil que du moment, et ne sachant le motif qui te fait désirer que je ne paraisse pas auprès de Dumas et Aubert je ne savais jusqu’où je devais aller. Ensuite, d’après les renseignements vagues de ta dernière lettre, il est presque impossible de faire des recherches à la poste. Tu ne m’y marques pas à quelle époque, à quelle date tu m’avais fait l’envoi. Je sais, ma pauvre bonne sœur, combien tu dois être fatiguée, obsédée, accablée. Hélas ! mon cœur se brise quand je pense à ton malheur : que doit-ce être, quand toi-même tu arrêtes tes idées sur ta position. Ne semble-t il pas que cette malheureuse circonstance de la lettre perdue, vienne encore pour empirer ta situation. Quoique le sort fasse enfin, s’il te laisse ton Charles et s’il me donne la force de mettre en œuvre ce que je puis faire et qu’il ne peut m’enlever qu’en m’enlevant moi-même, nous pourrons encore vivre. Je pense que tu auras reçu ma dernière lettre. Ecris-moi aussi souvent que tu pourras sans te fatiguer et fais écrire Charles.

Adieu ma bonne sœur, je t’embrasse tendrement, ainsi que ton cher Charles qui est aussi le mien.

E. Delacroix

Ce n’est que ce matin que Mme Cazenave2 a envoyé chercher le loyer. Je lui écris une lettre où, en lui parlant de notre malheur, je lui dis que j’avais été obligé, pour des frais imprévus à cette occasion, de remettre à un peu plus tard le payement des 120 francs des impositions. Dis-moi dans le cas où tu voudrais faire sortir tes meubles de la maison, si tu ne penses pas qu’elle puisse avoir le droit de s’en alarmer. J’ai remis l’écriteau. Je reçois à l’instant la lettre du 29 avril avec billet de 160 francs. Je vais m’occuper de tout ce que tu me dis.


1 Suite à la mort de Raymond de Verninac.
2 Mme Cazenave est propriétaire de l’immeuble au 114 rue de l’Université, où se trouvait les appartements que Delacroix s’occupait de sous-louer pour Henriette et Raymond de Verninac.

Transcription originale

Page 1

à Madame

Madame Verninac

Poste restante.

à Mansle.

Charente

Page 2

le 2 mai 1822.

Ma chère soeur,

J’ai reçu de toi avant hier une lettre datée du 25
qui semble en supposer une anterieure que je n’ai pas
reçue. tu m’y parles d’un effet de 3000# pour Papaneau
que je n’ai pas reçu. On est venu hier matin pour le
toucher. Il parait que mon frère en avait disposé pour
un autre personne que Paponneau. L’effet était de Mr.
Larue chataignier : mon beau frère l’avait passé à l’ordre de
mon frère qui l’avait donné à Mr. Ventries duquel il
etait venu à un Mr. Picard qui l’avait passé à la
banque. Tu conçois l’embarras excessif où je me suis
trouvé. D’un côté, on venait toucher ces 3000# et je n’avais
pas même reçu la lettre de change, de l’autre il n’y etait
pas question du tout de Pavaneau. quand à cette dernière
objection, j’ai bien pensé tout de suite que mon frère en
avait disposé autrement que tu ne pensais. J’ai donc eté
de suite, et d’après les directions de Mr. Boilleau, faire faire
des recherches à la poste qui ne pourront avoir de resultat
que dans quelques jours. J’ai été ensuite chez ce Mr.
Picard : mais cet homme qui ne nous connait nullement,
qui se voit obligé de payer à la banque cet effet qu’il

Page 3

lui avait passé sur nous, m’a dit qu’il ne pouvait
se dispenser de faire un protêt. Je lui ai peint la
triste situation où tu te trouves : mais tu vois qu’il
etait impossible qu’il cédat à ces considerations. faut il
donc que tous les malheurs arrivent ensembles, et ne
cesseras tu pas d’etre persecutée ! J’etais aussi très embar-
-rassé relativement à Dumas et Aubert auprès desquels
tu m’avais recommandé de ne pas paraître. je n’osais
aller les prier de ne payer à personne. Je m’y decide
pourtant ce matin. aussi bien la contrainte ne pourrait
elle pas avoir lieu ; l’échéance devant être passée pour
toucher auprès d’eux puisque celle du billet de monbeau-
-frere à mon frère avait lieu hier. Quand Dans les
affaires que tu me donneras à suivre, ne néglige pas
[1 ou 2 lettres barrées] ma chere sœur, de detailler autant que tu le pourras
les raisons qui te font agir, parceque, comme tu le vois
dans des circonstances comme celles-ci, il y a mille cas
où on est obligé de ne prendre conseil que du moment,
et ne sachant le motif qui te fait desirer que je ne
paraisse pas auprès de Dumas et aubert je ne savais
jusqu’où je devais aller. Ensuite, d’après les renseigne-

Page 4

-mens vagues de ta derniere lettre, il est presqu’impossible
de faire des recherches à la poste. Tu ne m’y marques pas
à quelle epoque, tu à quelle date tu m’avais fait l’envoi.
Je scais, ma pauvre bonne sœur, combien tu dois etre
fatiguée, obsedée, accablée. Helas ! mon cœur se brise
quand je pense à ton malheur : que doit ce être, quand
toi même tu arrêtes tes idées sur ta position. ne semble
-t il pas que cette malheureuse circonstance de la lettre
perdue, vienne encore pour empirer ta situation.
Quoique le sort fasse enfin, s’il te laisse ton Charles et s’il
me donne la force de mettre en œuvre ce que je puis faire
et qu’il ne peut m’enlever qu’en m’enlevant moi m[ême]
nous pourrons encore vivre. Je pense que tu auras re[çu]
ma dernière lettre. Ecris moi aussi souvent que tu pou[rras]
sans te fatiguer et fais ecrire charles.

Adieu ma bonne sœur, je t’embrasse tendrement
ainsi que ton cher charles qui est aussi le mien.

E. Delacroix

Ce n’est que ce matin que Mde Cazenave a envoyé chercher le loyer.
je lui ecrit une lettre où en lui parlant de notre malheur, je lui
dis que j’avais été obligé pour des frais imprévus à cette occasion de
remettre à un peu plus tard le payement des 120# des impositions.
Dis moi dans le cas où tu voudrais faire sortir tes meubles de la
maison, si tu ne pense pas qu’elle puisse avoir le droit de sen alarmer.
j’ai remis l’écriteau. Je reçois à l’instant la lettre du 29
avril avec billet de 160#. Je vais m’occuper de tout ce que tu me dis.

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