Lettre à Henriette de Verninac, 27 juin 1820.

  • Cote de la lettre ED-IN-1820-JUIN-27-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 27 Juin 1820
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 56-59.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 25,9x40
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 17
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Transcription modernisée

13 juillet

À Madame
Madame Verninac
Poste restante à
Mansle
Charente.

 

le 27 juin 1820.

 

Il ne faut plus prendre outrage, ma chère sœur, de tout ce qui s’est passé ici. Tout s’est calmé. Il s’agit de savoir seulement si cela durera 1. Si le tapage eût duré, je me serais conformé à tes intentions et n’aurais pas fait sortir Charles. Comme tu lui permettais de sortir à la campagne, j’avais en conséquence, arrangé une partie pour un dimanche : nous devions aller passer la journée à Saint Germain 2. Mais il a été malheureusement privé de sortie ce jour-là, parce qu’à la sortie précédente, je l’avais ramené un peu trop tard. Nous nous en sommes dédommagés agréablement jeudi dernier. Frédéric était venu passer à Paris le samedi et le dimanche. Il nous a invités à venir le voir à Saint-Cyr : ce que nous avons accepté comme tu penses. Nous avons eu un temps superbe. Nous nous proposons d’y retourner le 8 du mois prochain. Charles aura un congé général, à cause de l’anniversaire de la rentrée du Roi. Du reste sa santé est admirable. Il travaille on peut dire bien ; il est maintenant aussi grand que moi : tu ne le reconnaîtras pas.

Je vois avec bien du chagrin que l’appartement ne se loue pas. Je l’ai fait insérer dans les petites affiches suivant tes intentions : mais cela ne fait pas grand-chose3. J’espère que la diminution du prix pourra contribuer à en accélérer la location. Melle Pierret4 doit venir un de ces matins toute seule, afin de voir l’appartement. Elle n’est aucunement connue de la portière et si il y a quelque mauvaise intention de sa part, nous le saurons bientôt. Je serais cependant peu tenté de le croire, quoique d’ailleurs elle soit d’un caractere que j’estime peu. Je conçois que ne gagnant rien à l’entrée d’un nouveau locataire, elle trouve doux de s’épargner le surcroît de travail qu’il lui donnerait. Enfin nous verrons. Voici le mois qui approche. Envoie, je t’en prie bien, le plus tôt possible, l’argent de Mme Cazenave 5. Elle est on ne peut plus assidue à envoyer son domestique toucher l’argent de ses loyers ; il serait désagréable d’être obligé de la payer en paroles. Il est bien dur d’avoir sur le corps un pareil loyer, et qui vous est aussi inutile. Mais pour peu que nous parvenions à le louer, il faut encore s’estimer heureux. Mme Guillemardet est obligée de démenager et après avoir cherché, non pas seulement dans les environs du palais royal où tu sais qu’elle tient, mais même jusque dans le faubourg Saint-Germain elle n’a pu trouver d’appartement a peu près convenable, que rue Louis le Grand, au 3eme au-dessus de l’entresol, dans une maison toute neuve et qu’elle paye 1800 fr. Pour 200 francs de plus nous avons une maison toute entière. Il ne faut pas non plus compter pour rien les 800 fr du locataire de cet hiver ; ce n’était pas je crois une mauvaise affaire. Je sais bien ce qu’on peut opposer à tous ces raisonnements là ; c’est, qu’ils sont bien aisés à faire quand on n’a pas 500 fr. à payer tous les trimestres : je suis aussi de ton avis et cela est fort dur. Mais il faut aussi trouver dans la chose, les consolations réèlles qui y sont. Le malheur de ce trimestre, il ne faut se le dissimuler, est que tout le monde est à la campagne. Il n’y a presque plus d’anglais à Paris : les derniers évènements, les ont transis de peur. Tu te souviens que ce printemps, nous avons été plusieurs fois sur le point de faire affaire. La saison était alors plus favorable.

Je ne t’envoie point encore de comptes, ni l’état de ce qui [est] dû aux ouvriers : je n’ai pu encore l’avoir de mon oncle : ce sera prochainement. Aurais-tu la bonté, je te prie, de m’envoyer le plutôt possible, l’adresse de l’homme qui t’a loué sa voiture suspendue, pour porter les meubles dans ton déménagement. Mme Guillemardet me l’a demandée avec instance. Je t’en serais bien obligé.

Je partirai avec Charles le lendemain de la distribution je te le promets. J’ai bien de l’impatience de voir des figures de parents. On a beau s’accoutumer à une vie solitaire, il est des personnes qui vous manquent toujours. Je n’ai pu encore faire analyser le morceau de terre à étain. On m’a fait espérer de le montrer à un savant du jardin des Plantes. Je me flatte d’avoir cela bientôt.

Adieu ma chère sœur, je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que mon beau-frère.                   E. delacroix

Le pauvre Frédéric qui se rappelle à vous, regrette bien de ne pouvoir être ces vacances dans son pays. –

 


1 A la suite de vote de l’amendement Jordan et des modifications de la loi sur les élections (voir la lettre du 8 juin 1820, note 5), les troubles s’intensifient. Le 3 juin 1820, lors d’une manifestation devant la Chambre des députés, un étudiant, Nicolas Lallemand, est tué de dos par un soldat de la Garde royale. A ses obsèques le 6 juin 1820 et après le service funèbre,  des centaines d’étudiants et d’ouvriers se regroupent et manifestent leur indignation et leur désir de vengeance. Des troubles se poursuivent tout le mois de juin. L’opposition le considère comme un martyr politique.
2 Selon Joubin (t. V, p. 56.), il devait se rendre chez son ami Raymond Soulier.
3 Petites Affiches, journal d’annonces diverses. Après la première insertion (voir la lettre du 30 mai 1820, note 7), Delacroix note dans son carnet de comptes la dépense de 30 sous le 24 juin 1820 pour la parution d’une nouvelle annonce (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1437).
4 Selon Joubin (t. V, p. 57.), c’est la soeur de son ami Jean-Baptiste Pierret.
5 Propriétaire de l’hôtel de la rue de l’Université.

 

 

 

Transcription originale

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13 juillet

 

À Madame
Madame Verninac
Poste restante à
Mansle
Charente.

 

Page 2

le 27 juin 1820.

 

Il ne faut plus prendre outrage, ma chere sœur, de tout ce qui s’est passé ici. tout s’est calmé. Il s’agit de savoir seulement si cela  durera. Si le tapage eut duré, je [mot barré] me serais conformé à tes intentions et n’aurais pas fait sortir charles. Comme tu lui permettais de sortir à la campagne, j’avais en conséquence, arrangé une partie pour un dimanche : nous devions aller passer la journée a St Germain. Mais il a été malheureusement privé de sortie ce jour là, parcequ’à la sortie precedente, je l’avais ramené un peu trop tard. Nous nous en sommes dédommagés agreablement jeudi dernier. Frederic était venu passer à paris le Samedi et le dimanche. il nous a invités à venir le voir à St-Cyr : ce que nous avons accepté comme tu penses. Nous avons eu un temps superbe. Nous nous proposons d’y retourner le 8 du mois prochain. Charles aura un congé general, à cause de l’anniversaire de la rentrée du roi. Du reste sa santé est admirable. Il travaille on peut dire bien ; il est maintenant aussi grand que moi : tu ne le reconnaitras pas.

Je vois avec bien du chagrin que l’appartement ne se loue pas. Je l’ai fait inserer dans les petites affiches suivant tes intentions : mais cela ne fait pas grand-chose. J’espère que la diminution du prix pourra contribuer à en accelerer la location. Melle Pierret doit venir un de ces matins toute seule, afin de

 

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voir l’appartement. Elle n’est aucunement connue de la portière et si il y a quelque mauvaise intention de sa part, nous le saurons bientôt. Je serais Cependant peu tenté de le croire, quoique d’ailleurs elle soit d’un caractere que j’estime peu. Je conçois que ne gagnant rien à l’entrée d’un nouveau locataire, elle trouve doux de s’epargner le surcroit de travail qu’il lui donnerait. enfin nous verrons. Voici le mois qui approche.Envoie, je ten prie bien, le plus tot possible, l’argent de Mde Cazenave. Elle est on ne peut plus assidue à envoyer son domestique toucher l’argent de ses loyers ; il serait desagreable d’etre obligé de la payer en paroles. Il est bien dur d’avoir [mot barré] sur le corps un pareil loyer, et qui vous est aussi inutile. Mais pour peu que nous parvenions à le louer, il faut encore s’estimer heureux. Mde Guillemardet est obligée de démenager et après avoir cherché, non pas seulement dans les environs du palais royal où tu sais quelle tient, mais même jusque dans le fauxbourg St Germain elle n’a pu trouver d’appartement a peu près convenable, que rue Louis le grand, au 3eme au dessus de l’entresol, dans une maison toute neuve et qu’elle paye1800 fr. pour 200 francs de plus nous avons une maison toute entière. Il ne faut pas non plus compter pour rien les 800 fr du locataire de cet hyver ; ce n’était pas je crois une

 

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mauvaise affaire. Je sais bien ce qu’on peut opposer à tous ces raisonnements là ; c’est, qu’ils sont bien aisés à faire quand on n’a pas 500 fr. à payer tous les trimestres : je suis aussi de ton avis et cela est fort dur. Mais il faut aussi trouver dans la chose, les consolations réelles qui y sont. Le malheur de ce trimestre, il ne faut se le dissimuler, est que tout le monde est à la campagne. il n’y a presque plus d’anglais à Paris : les derniers evenements, les ont transis de peur. Tu te souviens que ce printemps, nous avons été plusieurs fois sur le point de faire affaire. La saison était alors plus favorable.

Je ne t’envoye point encore de comptes, ni l’état de ce qui [illisible] du aux ouvriers : je n’ai pu encore l’avoir de mon oncle : Ce sera prochainement. Aurais tu la bonté, je te prie, de m’envoyer le plutot possible, l’adresse de l’homme qui t’a loué sa voiture suspendue, pour porter les meubles dans ton démenagement. Mde Guillemardet me l’a demandée avec instance. Je t’en serais bien obligé.

Je partirai avec Charles  Le lendemain de la distribution je te le promets. j’ai bien de l’impatience de voir des figures de parents. On a beau s’accoutumer à une vie solitaire, il est des personnes qui vous manquent toujours. Je n’ai pu encore faire analyser le morceau de terre à etain. on m’a fait esperer de le montrer à un savant du jardin des Plantes. je me flatte d’avoir cela bientot.

adieu ma chère sœur, je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que mon beaufrere.                        E. delacroix

Le pauvre frederic qui se rappelle à vous, regrette bien de ne pouvoir etre ces vacances dans son pays. –

 

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