Lettre à Henriette de Verninac, 6 décembre 1820

  • Cote de la lettre ED-IN-1820-DEC-06-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 06 Décembre 1820
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. I, p. 105-107.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 25,2x38,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 23
  • Données matérielles Lacune bordure droite et encre métallo-gallique
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Transcription modernisée

à Madame
à Madame Verninac
Poste restante.
à Mansle,
Charente.

11 décembre

Le 6 décembre 1820.

 

Je suis bien longtemps à te répondre, ma chère sœur : mais c’est que j’ai toujours tant de choses à t’écrire que ma pauvre mémoire frémit à chaque fois de ce qu’il lui faut se rappeler. Mon temps n’est pas non plus sans être employé utilement en partie à un travail opiniâtre et la fièvre occupe le reste. Je crois que pour cette fois il me faut prendre mon parti pour l’hiver tout entier : c’est au moins de quoi chacun me flatte. La fièvre, enracinée dans mes os, ne manque jamais son heure. M. Chaussier ne m’a ordonné autre chose qu’une tisane de racines de chicorée amère. Mais voilà déjà quelque temps que je la prends sans éprouver le moindre changement. Du reste je m’en rapporte à Dieu qui arrangera tout pour le mieux.

Le déménagement a été fait avec autant d’ordre qu’il pouvait l’être 1. Mais la location n’est rien moins que conforme aux instructions que tu avais laissées. D’abord mon oncle a loué sans bail. Cet homme est si sot qu’on ne peut lui demander la raison de rien et qu’il ne peut répondre que des absurdités. En un mot, il n’a pu me donner de motif de cette détermination. Il a, de plus, donné avec cet appartement du 2e, la plus grande des chambres de domestiques du 3e, que tu avais expressément réservée dans ta note. Voilà où tout cela en est. Tu vas donc avoir la bonté de me répondre sur ces choses, et si, dans le cas où ces locataires se refuseraient à faire un bail, il faut de suite leur donner congé ; toutes choses que je présume dans tes intentions. J’ai reçu ton certificat de vie et le mien fait, j’irai toucher notre rente 2. L’emploi que tu en veux faire est encore un peu embrouillé dans ma tête : spécifie-le moi un peu particulièrement dans ta prochaine. Quant à ma rente, nous étions convenus de la donner à Mme Oudot 3. Je te dirai néanmoins que j’ai grand besoin d’un pantalon. En attendant plus longtemps, je me trouverai toujours en avoir de mauvais, faute d’en user plusieurs à la fois. D’un autre côté, il y a déjà si longtemps que Mme Oudot attend que c’est un peu criard. Vois donc si, en mettant d’un côté et de l’autre, nous pourrons arranger cette affaire. Je ne puis faire sur mon mois aucune espèce d’économies. Comme la personne qui m’a commandé mon tableau est partie étourdiment sans m’en laisser les mesures 4, je vais chez M. Guerin, pour ne pas perdre de temps pour mes concours, etc. J’ai fait les commissions de mon beau-frère relativement aux brochures et ai remis la lettre moi-même chez M. de Chauvelin 5. Le libraire m’a rendu 88 exemplaires. S’il en avait selon l’usage envoyé aux principaux journaux tels que Le Courrier et Le Constitutionnel ; la censure en a défendu l’annonce, de sorte que le public n’a pu être prévenu de son apparition. Charles a beaucoup d’occupation à ce qu’il paraît. Le proviseur veut lui faire réparer le temps perdu.

Adieu ma chère sœur, je te souhaite une meilleure santé que la mienne. Cette fièvre met des obstacles dans tout ce que j’entreprends. [Mr.] Chaussier me défend de beaucoup sortir et les jours sont si courts, [lacune] l’atelier fini 6, on n’a guère le temps que d’aller dîner, si on veut rentrer chez soi avant les brouillards du soir. Adieu, je t’embrasse bien tendrement ainsi que mon beau-frère.

E. Delacroix

Charles t’aura expliqué et détaillé dans ses lettres le surplus de dépenses auxquelles nous avons été forcés dans le voyage. J’oubliais de te dire que j’ai payé à la portière 3#. 10 sous pour un paquet de chandelles à ton compte. J’ai aussi payé 5#. pour le port de notre caisse. Je te rappelle qu’il n’a pas été question dans nos comptes des 24#. que m’avaient prêté mon frère. Tu sais que j’ai plusieurs choses à payer, pour couleurs, etc. ainsi que mon tailleur à satisfaire sur mes propres fonds. Je ne serais donc pas fâché s’il est possible d’être nanti de cet argent-là.

J’oubliais de te dire que j’ai reçu avec ta lettre, la lettre de change de 36#. Comme l’échéance n’y est pas marquée et que le valet de chambre ne m’a pas tourmenté, je ne me passe pas de l’aller toucher vu l’éloignement.

 


1 Delacroix quitte son logement situé au 114 rue de l’Université à Paris pour s’établir au 22 rue de la Planche.
2 Selon Joubin, la mère de l’artiste, Victoire Oeben, avait fourni le cautionnement de l’entrepositaire des tabacs à Aix-la-Chapelle. A la suite de son décès, ses enfants perçoivent une rente (Joubin, t. I, p. 106).
3
Marchande lingère.
4
Tableau non identifié.
5
Peut-être François-Bernard de Chauvelin (1766-1832), député de la Côte-d’Or de 1817 à 1823 puis de 1827 à 1829. Voir aussi la lettre du 19 avril 1820.
6 Delacroix est entré à l’atelier de Guérin en 1815.

 

 

Transcription originale

Page 1

à Madame
Madame Verninac
Poste restante.
à Mansle.
Charente.

11 Xbre

 

Page 2

le 6 decembre 1820.

 

Je suis bien Longtemps à te répondre, ma chère Sœur : mais
C’est que j’ai toujours tant de choses à t’ecrire que ma pauvre
memoire fremit à chaque fois de ce qu’il lui faut se rappeler. Mon
temps n’est pas non plus sans etre employé utilement en partie à
un travail opiniatre et la fièvre occupe le reste. Je crois que pourcette fois il me faut prendre mon parti pour l’hyver tout entier : c’est
au moins de quoi chacun me flatte. La fievre enracinée dans
mes os, ne manque jamais son heure. Mr. Chaussier ne m’a
ordonné autre chose qu’une tisanne de racines de chicorée amère :
mais voila deja quelque temps que je la prends sans eprouver
le moindre changement. Du reste je m’en rapporte à Dieu
qui arrangera tout pour le mieux.

Le demenagement a ete fait avec autant d’ordre qu’il
pouvait l’etre. Mais la location n’est rien moins que conforme
aux instructions que tu avais laissées. D’abord mon oncle
à Loué sans bail. Cet homme est si sot qu’on ne peut lui
demander la raison de rien et qu’il ne peut repondre que
des absurdités ; en un mot il n’a pu me donner de motif de
Cette détermination. Il a deplus donné avec cet appartement
du 2e. la plus grande des chambres de domestiques du 3e, que
tu avais expressement reservé dans ta note. Voila où tout cela
en est. Tu vas donc avoir la bonté de me repondre sur Ces

 

Page 3

choses, et si, dans le cas où ces locataires se
refuseraient à faire un bail, il faut de suite leur
donner Congé ; toutes choses que je présume dans
tes intentions. __ J’ai reçu ton certificat
de vie et le mien fait, j’irai toucher notre rente.
L’emploi que tu en veux faire est encore un peu embrouillé
dans ma tête : Specifie le moi un peu particulierement
dans ta prochaine. quand à ma rente nous etions
Convenus de la donner à Mde. Oudot. Je te dirai
neanmoins que j’ai grand besoin d’un pantalon. En attendant
plus longtemps je me trouverai toujours en avoir de mauvais
faute d’en user plusieurs à la fois. d’un autre coté, il y
a deja si longtemps que Mde. Oudot attend que C’est un
peu criard. Vois donc si en mettant d’un coté et de
l’autre nous pourrons arranger cette affaire. Je ne puis
faire sur mon mois aucune espece d’economies ; Comme
la personne qui m’a commandé mon tableau est partie
etourdiment sans m’en laisser les mesures, je vais chez
Mr. Guerin, pour ne pas perdre de temps pour mes
Concours. &&. _ j’ai fait Les commissions de

 

Page 4

mon beau frere relativement aux brochures et ai remis la lettre moi même
chez Mr. de Chauvelin. Le libraire m’a rendu 88 exemplaires. Le
[un mot barré partiellement illisible] sil en [mot interlinéaire] avait selon l’usage envoyé aux principaux journaux
tels que le courrier et le Constitutionnel : La censure en a
defendu l’annonce, de sorte que le public n’a pu être prevenu de son
apparition. _ Charles a beaucoup d’occuppation à ce qu’il paraît. le
proviseur veut lui faire reparer le temps perdu.

Adieu ma chère sœur ; je te souhaite une meilleure santé que la
mienne. Cette fievre met des obstacles dans tout ce que j’entreprends. [Mr.] [lacune]
Chaussier me defend de beaucoup sortir et les jours sont si courts, [trou]
l’attelier fini, on n’a guères le temps que d’aller diner si on veut
rentrer chez soi avant les brouillards du soir. adieu je t’embrasse bien
tendrement ainsi que mon beau frere.

E. delacroix

Charles t’aura expliqué et détaillé dans ses lettres le surplus de depenses aux
quelles nous avons été forcés dans le voyage. j’oubliais de te dire que j’ai payé à
la portière 3#. 10 sous pour un paquet de chandelles à ton compte. j’ai aussi
payé 5#. pour le port de notre caisse. Il n’a pas été je te rappelle qu’il n’a pas
été question dans nos comptes des [petit mot barré illisible] 24#. que m’avaient preté mon frere . tu
scais que j’ai plusieurs choses à payer, [une rature]pour couleurs &.. ainsi que mon
tailleur à satisfaire sur mes propres fonds. Je ne serais donc pas faché s’il est
possible d’etre [mot barré illisible] nanti de cet argent la.

J’oubliais de te dire que j’ai reçu avec ta lettre, la lettre de change de 36#.
comme l’écheance n’y est pas marquée et que le valet de chambre ne m’a pas tourmenté
je ne me passe pas de l’aller toucher vu l’eloignement.

 

 

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