Lettre à Henriette, 16 janvier 1821

  • Cote de la lettre ED-IN-1821-JAN-16-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Henriette de VERNINAC
  • Date 16 Janvier 1821
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. V, p. 66-69.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 25,2x38,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 241 pièce 23
  • Données matérielles Trou bordure droite, encre métallo-gallique
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Transcription modernisée

A Madame
Madame Verninac
Poste restante
à Mansle
Charente

Le 16 janvier 1821

 

Je ne suis pas encore mort, ma chère sœur, quoique mon silence ait presque dû le faire penser. Mais hélas, la fièvre à qui je croyais être redevable de tant d’avantages sous le rapport du perfectionnement moral a malheureusement laissé encore beaucoup de choses à corriger. Je suis aussi paresseux qu’avant ; je remets au lendemain ce que j’ai à faire et tous ces lendemains, véritablement sans que je m’en aperçoive, finissent par faire des mois entiers. Et puis beaucoup d’embarras ; il me faut courir pour avoir et retenir mes modèles : souvent quand je les attends ils ne viennent pas, ou me dérangent quand je n’ai pas compté sur eux. Il m’a fallu encore chercher un portier par monts et par vaux. Les nôtres nous ont quitté. Le mari qui était parvenu à entrer aux Invalides, avec permission de coucher dehors, est devenu tellement infirme et asthmatique qu’il s’est vu obligé de demeurer à l’infirmerie. De son côté, la femme était peu ingambe et ne pouvait suffire à l’ouvrage. Elle m’a donc signifié au commencement de janvier son départ pour le 15. Après m’être informé, en avoir vu, pris des informations, je me suis arrêté à un homme qui m’a été recommandé comme très honnête et très sûr. Sa femme, qui est restée chez Mme Guillemardet, n’en est sortie qu’à cause d’une maladie dont elle n’est pas encore remise. Ce sont, à ce qu’elle m’a assuré, deux excellents sujets. Ils pouvaient entrer de suite, aux mêmes conditions que les autres ; je les ai donc arrêtés et installés. Tout cela m’a tracassé et tu connais mon faible pour la paix. Je suis fâché encore de tes projets nouveaux sur la location du 1er. Cela exige une foule de précautions qui ne sont pas faciles à risquer avec des portiers nouveaux et des domestiques qui commèrent. La perspective d’un autre déménagement n’a rien de gai. D’un autre côté, les Anglaises qui occupent le 2e y ont fait beaucoup de dépenses et il ne sera pas difficile à ces personnes de voir qu’on veut les renvoyer, vu la petite quantité de chambres de domestiques et les caves qu’elles occupent. Enfin la volonté de Dieu se fasse.

M. Chaussier a chassé ma fièvre ; mais ce n’est pas gratis. Il a commencé par m’ordonner des pilules dont j’ai pris deux par jour pendant six jours et elles coûtaient 1fr. la pièce, ce qui fait 12 fr., si je sais compter. Premier échec à la bourse. Ensuite, quand je fus trouver le docteur pour la seconde fois seulement, comme je remarquai en lui un air sombre malgré les compliments que [je] lui faisais de ta part pour lui faire voir que j’étais ton frère, je résolus donc de risquer de mettre sur sa cheminée quelque argent, pensant que s’il ne jugeait pas convenable de l’accepter il me le dirait et me tirerait d’embarras. J’y hasardai donc mes 10 fr. Il n’en fut pas comme j’avais pensé. N’y ayant été que deux fois, je regardais cette somme comme suffisante. Mais le bon M. Chaussier, comme tu l’appelles, se mit à regarder mes 10 fr. en se grattant la tête, et voici quelles furent ses propres paroles : « Monsieur, nos consultations se paient d’ordinaire mieux que cela. » C’était parler français et clairement. Je tirai donc de ma poche 10 autres francs que j’y ajoutai en lui faisant une révérence qui exprimait ma satisfaction. Voilà l’historique de ma maladie. Pilules de 12 fr., consultation de 20 fr., ce qui en conscience est au-dessus de mes moyens.

Le pâté que tu nous a envoyé était exquis : mon [neveu] n’en a pas perdu une goutte ; car outre le jour de congé [qu’il] a eu au premier de l’an, il est encore ressorti deux jours pour les Rois. Frédéric se trouvait à Paris ces deux derniers jours et nous passâmes agréablement notre temps. Je joins à mes remerciements pour la jolie bourse, mes vœux sincères pour que cette année te soit heureuse et que nos tristes affaires tournent à bien. Mme Lamey, qui se porte assez bien, m’a aussi donné une bourse en remplacement de ma vieille, de sorte que j’en suis abondamment pourvu. J’espère incessamment t’envoyer tes graines1.

Adieu ma chère sœur, je t’embrasse tendrement ainsi que mon beau-frère.

E. Delacroix

 


1 Henriette de Verninac, passionnée de jardinage, avait déjà sollicité l’aide de Delacroix pour se procurer des greffes auprès des ouvriers du Jardin des Plantes. Voir la lettre du 5 août 1820 et la lettre du 12 août 1820.

 

Transcription originale

Page 1

à Madame
Madame Verninac
Poste restante
à Mansle.
Charente

 

Page 2

le 16 janvier 1821

 

Je ne suis pas encore mort, ma chere sœur, quoique mon
silence ait presque du le faire penser. Mais helas ! la
fievre à qui je croyais être redevable de tant d’avantages
sous le rapport du perfectionnement moral a malheureusement
[1 mot barré illisible] laissé encore beaucoup de choses à corriger. Je suis aussi
paresseux qu’avant ; je remets au lendemain ce que j’ai à faire
et tous ces lendemains, veritablement sans que je m’en appercoives
finissent par faire des mois entiers. Et puis beaucoup
d’embarras. Il me faut courrir pour avoir et retenir mes
modèles : souvent quand je les attends ils ne viennent pas, où
me dérangent quand je n’ai pas compté sur eux. il m’a fallu
encore chercher un portier par monts et par vaux. Les notres
nous ont quitté. Le mari qui etait parvenu à entrer aux
Invalides avec permission de coucher dehors, est devenu tellement
infirme et asthmatique qu’il s’est vu obligé de demeurer
à l’infirmerie. De son coté La femme etait peu ingambe
et ne pouvait suffire à l’ouvrage. Elle m’a donc signifié
au commencement de janvier, son départ pour le 15. après
m’etre informé, en avoir vu, pris des informations, je me suis
arreté à un homme qui m’a eté recommandé comme très
honnête et très sur. Sa femme qui est restée chez Mad.

 

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Guillemardet, n’en est sortie qu’a cause d’une maladie
dont elle n’est pas encore remise. Ce sont à ce quelle m’a
assuré deux excellents sujets ; Ils pouvaient entrer de suite,
aux mêmes conditions que les autres : je les ai donc arretés.
et installés. Tout cela m’a tracassé et tu connais mon faible
pour la paix. Je suis faché encore de tes projets nouveaux sur
la location du 1er. cela exige une foule de precautions qui
ne sont [1 mot barré illisible] pas faciles à risquer, avec des portiers nouveaux :
[plusieurs mots raturés illisibles] et des domestiques qui comerent la perspective [7 mots interlinéaires]
d’un autre [mot interlinéaire] demenagement. cela n’a
[1 mot raturé illisible] rien de [2 mots inerlinéaires] gai. D’un autre coté, les anglaises qui occupent le
2e. y ont fait beaucoup de depenses et [plusieurs mots raturés illisibles]
il ne sera pas difficile de voir à ces personnes de voir qu’on veut
les renvoyer vu la petite quantité de chambres de domestiques
et les caves quelles occupent : Enfin La volonté de dieu se
fasse.

Mr. Chaussier a chassé ma fièvre : mais ce n’est pas
gratis. il a commencé par m’ordonner des pillules dont
j’ai pris deux par jour pendant six jours et elles coutaient
1#. la piece ce qui fait 12#. Si je sais compter ; Premier echec à
la bourse. Ensuite, quand je fus trouver le docteur pour la
seconde fois seulement, comme je remarquais en lui un air
sombre malgré les compliments que lui fesais de ta part
pour lui faire voir que j’étais ton frère, je resolus donc de

 

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risquer de mettre sur sa cheminée, quelqu’argent, pensant [1 mot raturé] que s’il
ne jugeait pas convenable de l’accepter il me le dirait et me tirerait
d’embarras. j’y hazardai donc mes 10.# _ Il n’en fut pas comme j’avais
pensé. N’y ayant été que deux fois, je regardais cette somme comme
suffisante. Mais le bon Mr. Chaussier comme tu l’appelles, se mit à
regarder mes 10 fr en se grattant la tête et voici quelles furent ses
propres paroles : Monsieur, nos consultations se payent d’ordinaire
mieux que cela. C’etait parler francais et clairement. je tirai donc
de ma poche 10 autres francs que j’y ajoutai en lui fesant une
reverence qui exprimait ma satisfaction. Voila l’historique de ma
maladie. Pillules de 12.# _ consultation de 20 fr. ce qui en
conscience est au dessus de mes moyens.

Le Paté que tu nous a envoyé etait exquis : mon [mot illisible]
n’en a pas perdu une goutte : car outre Le jour de congé [qu’il]
a eus au premier de l’an, il est encore ressorti 2 jours pour les
rois. frederic se trouvait à Paris ces deux derniers jours et nous
passament agreablement notre temps. Je joins à mes remerciments
pour la jolie Bourse, mes vœux sinceres pour que cette année te soit
heureuse et que nos tristes affaires tournent à bien. Mde. Lamey
qui se portent assez bien m’a aussi donné une bourse en remplacement
de ma vieille, de sorte que j’en suis abondemment pourvu. j’espère
incessament t’envoyer tes graines.

adieu ma chere sœur je t’embrasse tendrement ainsi que
mon beaufrere. _______ E. delacroix

 

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