Lettre à Jean-Baptiste Pierret, Vendredi 14 août 1818

  • Cote de la lettre ED-ML-1818-AOU-14-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Jean-Baptiste PIERRET
  • Date 14 Décembre 1818
  • Lieux de conservation Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. I, p. 15-17 ; Chillaz, 1997, 516, p. 102.
  • Historique Legs Etienne Moreau-Nélaton, 1927
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 30x20,1
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque AR18L3
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Transcription modernisée

A Monsieur,
Monsieur Bap. Pierret fils,
rue du four. n°50
à Paris.

 

Vendredi 14 août 1818

Mon cher ami,

Fais-moi le plaisir, si tu n’as pas d’autre occupation plus intéressante demain, de venir te baigner avec Piron et moi au bain Duhamel. Je l’ai vu aujourd’hui et nous en avons formé le projet. Je doute fort que tu n’aies pas déjà disposé d’avance de ton temps : ne te gêne donc en rien. Au moment où je t’écris ceci, il est 7 heures du soir et, si tu as bonne mémoire, tu te rappelleras quand tu recevras ma lettre que le temps à cette heure-là commençait à se brouiller, ce qui m’inquiète un peu. Tout cela me fait naître toutes sortes d’idées très naturelles. Premièrement c’est que s’il fait mauvais temps la partie sera manquée, puis, que, si tu ne peux venir, je ne te verrai point, ce qui serait des deux côtés des accidents mortifiants pour moi. Tu m’avais promis que nous nous verrions dans le courant de cette semaine et voilà bientôt que cette semaine aura été rejoindre ses ancêtres, pour ne plus revenir. Le temps s’échappe entre mes doigts sans que je m’en aperçoive. Il me semble qu’autrefois les mois procédaient avec calme, prenaient leur place tour à tour sans m’étourdir. Aujourd’hui, je ne vois dans l’été que l’hiver qui arrive, dans l’hiver que l’été qui vient. Et je compte toujours sur le lendemain qui devient aujourd’hui et qui est si semblable à celui d’hier que je remets encore mes projets à un autre demain, sans m’apercevoir que chacun d’eux me vole une portion de ma vie. Je crois décidément qu’il faut bien s’ennuyer pour sentir le prix de la vie… Et encore ces heures si lentes, qui vous ont pesé comme du plomb, sont aussi loin de vous quand elles sont écoulées.

Adieu mon bon ami. Comme je sais que tu aimes que je bavarde un peu dans mes lettres, je t’en ai couché ici d’estoc et de taille, mais comme il est un terme à tout et comme je m’aperçois que l’heure destinée à te porter ma lettre commence à gagner le large à son tour, je prends mes conclusions en te souhaitant une bonne nuit et en te renouvelant mon invitation. Piron viendra me prendre au plus tard à 2 heures et demie – ainsi, si tu ne peux venir à la maison à cette heure, tu nous trouveras au bain (en cas de beau temps bien entendu) vers 3 heures et plus.

Adieu

ton ami.

Eugène Delacroix

Transcription originale

Page 1

Vendredi 14 août 1818

Mon cher ami,

fais-moi le plaisir, si tu n’as pas d’autre
occupation plus interessante demain, [mot barré] de
venir te baigner avec Piron et moi au bain Duhamel.
je l’ai vu aujourd’hui et nous en avons formé le
projet. Je doute fort que tu n’aies pas deja
disposé d’avance de ton temps : ne te gènes donc en
rien. – Au moment où je t’ecris ceci, il est 7 heures
du soir et Si tu as bonne memoire, tu te rappelleras
quand tu recevras ma lettre que le temps à cette
heure là commençait à se brouiller, ce qui m’inquiette
un peu. tout cela me fait naître toutes sortes d’idées
très naturelles. Premièrement c’est que s’il fait
mauvais temps la partie sera manquee, puis que
si tu ne peux venir, je ne te verrai point, - ce qui
serait des deux côtés des accidens mortifians pour
moi – Tu m’avais promis que nous nous verrions
dans le courant de cette semaine et voila bientot
que cette semaine aura été rejoindre ses ancêtres, pour

 

Page 2

ne plus revenir. Le temps s’échappe entre mes doigts
sans que je m’en apperçoive. il me semble qu’autrefois
les mois procedaient avec calme, prenaient leur
place tour à tour sans m’étourdir. Aujourd’hui,
je ne [mot barré] vois dans l’été que l’hyver qui arrive,dans l’hyver que l’été qui vient. & je compte
toujours sur le lendemain qui devient aujourd’hui
et qui est si semblable à celui d’hier que je remets
encore mes projets à un autre demain, sans m’ap
percevoir que chacun d’eux me vole une portion de
ma vie – je crois decidement qu’il faut bien
s’ennuyer pour sentir le prix de la vie.. & encore
ces heures si lentes qui vous ont pesé comme du
plomb, sont aussi loin de vous quand elles sont
écoulées.
Adieu mon bon ami. Comme je sçais
que tu aimes que je bavarde un peu dans mes lettres
je t’en ai couché ici d’estoc et de taille, mais
comme il est un terme a tout et comme je m’apperçois
que l’heure destinée à te porter ma lettre commence
à gagner le large à son tour, je prends mes conclusions

Page 3

en te souhaitant une bonne nuit et en te
renouvellant mon invitation. Piron viendra me
prendre au plutard à 2 heures 1/2 – ainsi, si tu
ne peux venir à la maison à cette heure, tu [mot barré]
nous trouveras au bain [deux mots mots interlinéaires sup.] (en cas de beau temps bien entendu)
vers 3 heures et plus.

Adieu
ton ami.
Eugène Delacroix

Page 4

Adresse sur la page 4 :
A Monsieur,
Monsieur Bap. Pierret fils,
rue du four. n°50
à Paris.

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