Lettre à Alexandrine Lamey, 6 mars 1855

  • Cote de la lettre ED-IN-1855-MAR-06-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Alexandrine LAMEY
  • Date 6 Mars 1855
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 246-248.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,9x27
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 7
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Transcription modernisée

Eugène Delacroix1

Ce 6 mars 1855

 

Chère cousine et amie,

Je réponds bien tard à votre bonne lettre : elle m’est arrivée quand j’étais fort souffrant et obligé, malgré ma fatigue, de travailler sans relâche à mes tableaux du Salon2. Quoiqu’obligé de travailler encore, car je n’en ai pas fini tout à fait, je vais mieux et vous envoie quelques mots de remerciements de votre bon souvenir. J’ai été bien affligé de la maladie de mon bon cousin : ces douleurs sont des plus intolérables et je reconnais bien, dans la manière dont il les a supportées, la supériorité de son caractère ; heureusement me dites-vous qu’elles commencent à se calmer et que vous pouvez concevoir l’espoir de le voir tout à fait bien portant. C’est un bonheur au moins que vous n’ayez pas été souffrante pendant qu’il était en proie à ces vives douleurs. L’amélioration de sa santé vous permettra sans doute à tous les deux de réaliser votre projet de voyage à Paris, qui me rendrait bien heureux. J’avais espéré, l’été dernier, aller vous faire une petite visite à Strasbourg et je vous avais même écrit à ce sujet3 : mais j’ai supposé que vous étiez vous-même en voyage au moment où cette lettre est parvenue. J’ai été au lieu de cela passer quelques moments à Dieppe à l’air de la mer4.

Notre cher Louis Guillemardet a été tout simplement remplacé de la manière la plus brutale, sans seulement qu’on ait fait mention de son nom au Moniteur. Quoiqu’il ait reçu de nombreux témoignages d’estime et qu’il ait supporté ce coup avec beaucoup de calme, je ne suis pas sans inquiétude sur les suites possibles de cet événement sur sa santé. Pour un homme aussi actif, c’est un changement bien complet de situation : je fais des vœux bien sincères pour qu’il n’en ressente que le plaisir d’être libre. Sa pauvre mère est dans un état bien triste : il est presque impossible de la voir, tant elle est devenue différente d’elle-même5. Vous avez sans doute par ses filles6 des détails plus circonstanciés que ceux que je pourrais vous donner. Voilà ce que le temps fait de nous ! Conservez-vous bien, chère amie, vous et mon cher cousin, afin de nous revoir au moins avec le même plaisir, même dans l’âge avancé. Mille et mille remerciements de m’avoir écrit, bonne et chère cousine, et mille assurances de mon inaltérable attachement.

Eugène Delacroix

 


1 Mention manuscrite postérieure.
2 Le Salon de 1854 fut reporté à 1855 pour être réuni à l’Exposition universelle sous le titre d’Exposition des Beaux-Arts. Delacroix présente une rétrospective de son oeuvre  - trente-cinq tableaux issus de collections publiques et privées - et deux tableaux exécutés  pour l’Exposition : Les Deux Foscari et La Chasse aux lions.
3 Voir la lettre du 2 juillet 1854.
4 Il séjourne à Dieppe, avec sa gouvernante Jenny, du 17 août au 26 septembre 1854. Son Journal abonde de notes sur ce séjour. En parallèle, il écrit "manuscrit sur la couleur", intitulé donné à postériori (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1720-1722. Dans la deuxième partie du Journal, l’auteur publie de nombreux textes de l’artiste, dont ce manuscrit).
5 Elle décède quelques jours plus tard le 19 juin 1855.
6
Ses deux filles : Annette Guillemardet, épouse Fouët de Conflans (1788-1880) et Caroline Guillemardet (1793-1869). Cette dernière resta liée à Delacroix durant toute sa vie (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 2216.).

Transcription originale

Page 1

 

Eug.Delacroix

 

Page 2

Ce 6 mars 1855.

Chère cousine et amie,

Je réponds bien tard à votre
bonne lettre : elle m’est arrivée quand
j’étais fort souffrant et obligé malgré
ma fatigue de travailler sans relâche à
mes tableaux du salon. Quoiqu’obligé de
travailler encore car je n’en ai pas fini
tout à fait, je vais mieux et vous envoie
quelques mots de remerciements de votre
bon souvenir. J’ai eté bien affligé de la
maladie de mon bon cousin : Ces douleurs
sont des plus intolérables et je reconnais bien
dans la manière dont il les a supportées,
la supériorité de son caractère : heureusement
me dites vous qu’elles commencent à se
calmer et que vous pouvez concevoir l’espoir
de le voir tout à fait bien portant. C’est un
bonheur au moins que vous n’ayez pas eté
souffrante pendant qu’il etait en proie
a ces vives douleurs. L’amelioration de

Page 3

sa santé vous permettra sans doute
à tous les deux de réaliser votre projet
de voyage à Paris qui me rendrait bien
heureux. J’avais esperé [mot barré illisible] l’[mot interlinéaire]eté dernier
aller vous faire une petite visite à Stras-
-bourg et je vous avais même ecrit à
ce sujet : mais j’ai supposé que vous etiez
vous même en voyage au moment où
cette lettre est parvenue. J’ai eté au lieu de
cela passer quelques moments à Dieppe
à l’air de la mer.

Notre cher Louis Guillemardet a eté
tout simplement remplacé de la manière
la plus brutale, sans seulement qu’on ait
fait mention de son nom au moniteur.
quoiqu’il ait reçu de nombreux témoignages
d’estime et qu’il ait supporté ce coup avec
beaucoup de calme, je ne suis pas sans
inquiétude sur les suites possibles de cet
evenement sur sa santé. Pour un hom-
-me aussi actif, c’est un changement
bien complet de situation : je fais des vœux
bien sincères pour qu’il n’en ressente que le

 

Page 4

plaisir d’etre libre. Sa pauvre mère est dans
un etat bien triste : il est presqu’impossible
de la voir tant elle est devenue differente
d’elle même. Vous avez sans doute par ses
filles des details plus circonstanciés que ceux
que je pourrais vous donner. Voila ce que
le temps fait de nous. Conservez vous bien
chère amie, vous et mon cher cousin, afin
de nous revoir au moins avec le même
plaisir même dans l’age avancé. Mille
et mille remerciements de m’avoir ecrit
bonne et chère cousine et mille assurances
de mon inalterable attachement.

EugDelacroix

 

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