Lettre à Guillaume-Auguste Lamey, 21 février 1857

  • Cote de la lettre ED-IN-1857-FEV-21-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 21 Février 1857
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 374-375.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,5x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 26
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Transcription modernisée

 

Ce 21 février 1857

Cher et bon cousin,

 

Pendant que vous m’écriviez cette bonne lettre qui est venue me consoler, j’étais encore bien souffrant des suites de mon rhume de deux mois, qui est devenu une véritable maladie1. Je vais mieux cependant, mais j’ai encore la perspective de rester au moins un mois dans ma chambre avant d’être un homme comme un autre. Je suis d’une grande faiblesse et, quoique je commence à manger, je ne vois pas encore de changement bien rapide. Voilà comme[nt] arrivent les évènements de ce monde. En lisant tous les charmants projets que vous formez, je me demandais ce qu’il me serait permis d’en exécuter. Je crains que la nécessité de remplir mes engagements ne me force à borner le temps que je puis mettre à mon plaisir : non pas que je ne me flatte d’aller passer quelque temps avec vous ; il faudrait de trop grands obstacles pour m’en empêcher. J’ai été trop heureux de notre réunion de l’année dernière2 pour ne pas m’être bercé agréablement de l’espoir de celle de cette année, seulement je crains de ne pouvoir vous rester aussi longtemps que je l’eusse désiré.

Vous auriez eu une lettre de moi au commencement de ce triste mois, à l’occasion d’un cruel anniversaire3, si je n’eusse été dans ce moment dans la crise de mon mal qui, par suite d’une rechute, avait pris beaucoup de gravité. J’ai éprouvé un semblable accident il y a une quinzaine d’années et la convalescence a été très longue, ce qui m’inquiète pour cette fois : je suis certain de ne pouvoir reprendre le pinceau avant un mois et il y en avait deux que je ne l’avais fait4.

Soignez-vous bien, cher cousin, et que l’épreuve que je subis soit la seule qui nous soit réservée. Je serai bien heureux de vous embrasser et de passer de bons moments avec vous : ce que nous en volerons au destin sera également délicieux.

Je vous embrasse de cœur.

Eugène Delacroix

 


1 Delacroix est malade. Il garde le lit et passe son temps à lire. A part la mention du 17 février : "cinquième visite du docteur" (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1113),  il n’écrivit rien dans son journal les deux premiers mois de l’année 1857. En mars, il débute la rédaction d’un projet longtemps médité : un "Dictionnaire des beaux-arts". Il utilise, a posteriori, les pages de janvier et de février de son agenda de 1857 pour noter ses réflexions. (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1056)
2 Voir la note 2 de la  lettre du 26 juillet 1856.
3 Il évoque l’anniversaire de décès d’Alexandrine Lamey. Voir la lettre du 9 février 1856.
4 Delacroix travaille au décor de la chapelle des Saints-Anges de l’église Saint-Sulpice.

 

Transcription originale

Page 1

Ce 21 fv 1857.

 

Cher et bon cousin,

 

Pendant que vous m’écriviez
cette bonne lettre qui est venu me
consoler, j’étais encore bien souffrant des
suites de mon rhume de deux mois qui
est devenu une veritable maladie. Je
vais mieux cependant, mais j’ai encore
la perspective de rester au moins un mois
dans ma chambre avant d’etre un
homme comme un autre. Je suis d’une
grande faiblesse et quoique je commence
à manger, je ne vois pas encore [mot interlinéaire] de changement
bien rapide. Voila comme arrivent les
evenements de ce monde. En lisant
tous les charmants projets que vous
formez, je me demandais ce qu’il me
serait permis d’en executer. Je crains
que la nécessité de remplir mes engagements
ne me force à borner le temps que je puis
mettre à mon plaisir : non pas que je

 

Page 2

ne me flatte d’aller passer quelque
temps avec vous ; il faudrait de
trop grands obstacles pour m’en [2 mots interlinéaires] [mot barré illisible] empecher :
j’ai eté trop heureux de notre réunion
de l’année dernière pour ne pas
m’etre bercé agreablement de l’espoir de
celle de cette année : Seulement je
crains de ne pouvoir vous rester aussi
longtemps que je l’eusse desiré.

Vous auriez eu une lettre de moi
au commencement de ce triste mois, à
l’occasion d’un cruel anniversaire, si je
n’eusse eté dans ce moment dans la
crise de mon mal qui, par suite d’une
rechûte, avait pris beaucoup de gravité.
J’ai eprouvé un semblable accident il y
a une quinzaine d’années et la convalescence
a eté très longue ce qui m’inquiète pour
cette fois : je suis certain de ne pouvoir
reprendre le pinceau avant un mois et
il y en avait deux que je ne l’avais fait.

Soignez vous bien, cher cousin et que

 

Page 3

l’epreuve que je subis soit la seule
qui nous soit reservée. Je serai bien
heureux de vous embrasser et de passer
de bons moments avec vous : ce que
nous en volerons au destin sera
egalement delicieux.

Je vous embrasse de cœur

EugDelacroix

 

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