Lettre à Pierre-Antoine Berryer, 06 septembre 1858

  • Cote de la lettre ED-MD-1858-SEPT-06-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 06 Septembre 1858
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes Lacombe, 1885, p. 60 (partiellement); Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 128-129 (idem); Pomarède, A. Sérullaz, Rishel (dir.), 1998, p. 22 (idem); Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1258-1259 (idem).
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès de la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,9x26,8
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/82
  • Données matérielles pliée en 3
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Transcription modernisée

Champrosay 6 7bre 1858

Mon cher cousin,

Je ne reçois qu’ici votre aimable lettre1. Je vous avouerai que je ne vous donnais pas signe de vie, n’ayant qu’à m’attrister de ce que j’avais à vous dire. Vous vous rappellerez que dans la lettre que je vous écrivis de Plombières2 je ne me flattais guère de pouvoir aller à Augerville à cause de la nécessité où j’étais de profiter du reste des beaux jours pour faire une campagne à St Sulpice. Cette difficulté ou plutôt cette impossibilité s’est augmentée par le mauvais effet que j’ai éprouvé des eaux, non pas sur le moment même mais aussitôt mon retour à Paris. Je m’y suis trouvé languissant, obligé encore de renoncer au travail et en fin de compte je me suis réfugié ici où j’ai retrouvé du mieux3. Mais ce n’est pas tout : voici ce qui m’attendait à Champrosay.

L’homme qui me louait mon petit pied-à-terre m’apprend au débotté qu’il va vendre sa maison et que j’avise d’ici à peu4. Me voilà troublé dans mes habitudes quoique je fusse médiocrement, mais enfin j’y suis, et il y a quinze ans que je viens dans le pays, que j’y vois les même gens, les mêmes bois, les mêmes collines. Qu’eussiez-vous fait à ma place, cher cousin, vous qui vous êtes laissé murer dans l’appartement que vous occupez depuis quarante ans, de peur d’en chercher un autre ? Probablement ce que j’ai fait, c’est-à-dire que j’ai acheté la maison qui n’est pas chère et qui avec quelques petits changements en sus du prix d’achat me composera un petit refuge approprié à mon humble fortune5. Il me faut donc à l’heure qu’il est retourner sous deux jours à Paris, faire un mois de ce travail ajourné sans cesse et venir encore de temps en temps ici voir ce qui s’y fait pour les aménagements que je vous ai dits.

Vous aurez bien vu en ouvrant ma lettre, mon cher cousin, que je ne vous en disais tant, que parce que je n’avais rien de bon à vous dire, au moins pour ce qui me concerne. Tout ce bavardage que je vous fais ici de mes petites affaires, j’aurais voulu vous en étourdir sous les ombrages d’Augerville et aux bords de l’Essonne. Vous voyez que je ne le puis malheureusement et vous penserez bien, j’espère, que c’est contre ma plus chère volonté. Pardonnez-moi donc encore. Veuillez me rappeler au souvenir des personnes que vous avez près de vous, en commençant par Madame Berryer que je prie bien d’agréer mes plus humbles respects et sans oublier d’embrasser votre aimable petit Henry6 : Je vous serais bien reconnaissant aussi de dire à Mr Richomme7 que je regrette bien de ne pouvoir cette année lui serrer la main.

Votre cousin bien affectionné et bien dévoué.

Eug. Delacroix

propriétaire.

Voulez-vous être assez bon pour offrir de ma part à monsieur Chailloux8, s’il est près de vous, tous mes remerciements pour l’attention qu’il a eue de m’envoyer sa thèse. Il eut eu tout de suite ces remerciements si je me fusse trouvé à Paris.


1 Berryer avait écrit à Delacroix le 4 septembre 1858, s’inquiétant d’être sans nouvelles de celui-ci et insistant pour le faire venir à Augerville (Paris, musée Eugène Delacroix, Paris, LA 31631/83).

2 Delacroix avait écrit à Berryer de Plombières le 23 juillet (Paris, musée Eugène Delacroix, Paris, LA 31631/80) en lui expliquant pour quelle raison il n’était pas certain de pouvoir le rejoindre à Augerville.

3 Delacroix était à Champrosay depuis le 11 août (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1255).

4 A Champrosay, Delacroix louait depuis de 1852 une maison appartenant à Nicolas Rabier.

5 La négociation venait d’être signée le 15 août au prix de 12 000 francs (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1256). Delacroix en fit part à Joséphine de Forget, en termes quasi identiques, dans une lettre datée ‘Champrosay, le 31 août’ (Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 44).

6 Henry, né en 1853, était le petit-fils de Berryer, issu du second mariage de son fils, Arthur, avec Noémie de Gailhard.

7 Richomme (dates inconnues), camarade d’enfance de Berryer avec qui il avait fait son droit, était un habitué d’Augerville. Surnommé Rikowski par Mme Berryer, il avait un physique peu séduisant mais un esprit original (Berryer. Souvenirs intimes par Mme la Vtesse A. de Janzé, née Choiseul, Paris, E. Plon et Cie, 1881, p. 209-211 et Souvenirs de Madame C. Jaubert. Lettres et Correspondances, Paris, J. Hetzel et Cie, 1881, p. 6-7).

8 On trouve ce nom orthographié avec ou sans x, dans trois autres lettres de Delacroix à Berryer, la première datée du 12 novembre 1859 (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31631/100), la deuxième datée du 7 mai 1861 (idem, LA 31631/117) et la troisième, du 5 novembre 1862 (idem, LA 31631/143). Selon A. Joubin (Corr. Gén, t. IV, p. 129, note 1), Chaillous (sic) était le secrétaire de Berryer et devint plus tard juge à Angers. Ce patronyme est très courant en France. Un certain Chaillou, conseiller de préfecture, ex-officier d’artillerie, était député de 1832 à 1839 de la Loire-Inférieure (actuelle Loire-Atlantique) pour l’arrondissement de Nantes, alors que Berryer, au même moment, émargeait comme député de la Haute-Loire (cf. L’Almanach royal et national, de 1832 à 1839). Ce M. Chaillou est domicilié à Paris successivement rue du Bac, n°9, puis rue de Grenelle-Saint-Germain, n°18. En 1838, il est mentionné plus précisément comme conseiller à la sous-préfecture des Sables-d’Olonnes et comme maire de Saint-Jean-de-Mont (Vendée). Or un Jean-Baptiste Chaillou a effectivement occupé cette dernière fonction de 1827 à 1830, puis de 1835 à 1839 (cf. site internet de cette commune). S’agit-il du même homme ?

 

Transcription originale

Page 1

Champrosay 6 7bre 1858.

Mon cher cousin,

je ne reçois qu’ici votre
aimable lettre. Je vous avouerai que
je ne vous donnais pas signe de vie,
n’ayant qu’à m’attrister de ce que j’avais
à vous dire. vous vous rappelerez que dans
la lettre que je vous ecrivis de Plombieres
je ne me flattais guères de pouvoir aller
à Augerville à cause de la necessité où
j’etais de profiter du reste des beaux
jours pour faire une campagne à St
Sulpice. cette difficulté ou plutot cette
impossibilité s’est augmentée par le
mauvais effet que j’ai eprouvé des
eaux, non pas sur le moment même
mais aussitot mon retour a Paris. Je
m’y suis trouvé languissant, obligé
encore de renoncer au travail et en
fin de compte je me suis refugié ici

 

Page 2

 

où j’ai retrouvé du mieux.
mais ce n’est pas tout : voici ce
qui m’attendait à champrosay.

L’homme qui me louait mon
petit pied a terre m’apprend au debotté
qu’il va vendre sa maison et que j’avise
d’ici à peu. me voila troublé dans
mes habitudes quoique je fusse médio-
-crement, mais enfin j’y suis, et il
y a quinze ans que je viens dans le
pays, que j’y vois les même gens, les
mêmes bois, les mêmes collines. qu’ eus-
-siez vous fait à ma place, cher cousin,
vous qui vous êtes laissé murer dans
l’appartement que vous occupez depuis
quarante ans, de peur d’en chercher un
autre ? probablement ce que j’ai fait,
c’est à dire que j’ai acheté la maison
qui n’est pas chère et qui avec quelques
petits changements en sus du prix
d’achat me composera un petit
refuge approprié à mon humble fortune

 

Page 3

 

Il me faut donc à l’heure qu’il
est, retourner sous deux jours à
Paris faire un mois de de ce [2 mots interlinéaires] travail
ajourné sans cesse et venir encore
de temps en temps ici voir ce qui
s’y fait pour les amenagements
que je vous ai dit.

Vous [mot barré] aurez [mot interlinéaire] bien vu en ouvrant
ma lettre, mon cher cousin, que je
ne vous en disais tant, que parceque
je n’avais rien de bon à vous
dire au moins pour ce qui me concerne
tout ce bavardage que je vous fais
ici de mes petites affaires, j’aurais
voulu vous en étourdir sous les om-
-brages d’augerville et aux bord de
l’Essonne one [syllabe interlinéraire]. Vous voyez que je ne le puis
malheureusemt et vous penserez bien
j’espère que c’est contre ma plus chère
volonté. Pardonnez moi donc encore
veuillez me rappeler au souvenir des
personnes que vous avez près de vous, en
commençant par Madame Berryer

 

Page 4

 

que je prie bien d’agreer mes plus
humbles respects et sans oublier
d’embrasser votre aimable petit Henry :
je vous serais bien reconnaissant
aussi de dire à Mr Richomme
que je regrette bien de ne pouvoir cette
année lui serrer la main.

Votre cousin bien affectionné et
bien devoué.

Eug Delacroix

propriétaire.

Voulez vous être assez bon pour offrir
de ma part à monsieur Chailloux
s’il est près de vous, tous mes remer-
-ciements pour l’attention qu’il a eue
de m’envoyer sa thèse. Il eut eu
tout de suite Ces remerciements
si je me fusse trouvé à Paris.

 

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