Lettre à Pierre-Antoine Berryer, 04 octobre 1858

  • Cote de la lettre ED-MD-1858-OCT-04-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 04 Janvier 1858
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes Lacombe, 1885, p. 56 (partiellement); Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 46 (idem).
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès de la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,5x26,2
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/84
  • Données matérielles pliée en 3
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Transcription modernisée

Ce 4 oct. 1858

Mon cher cousin,

Que votre lettre est aimable : elle me fait doublement plaisir parce que je vois par votre nouvel arrangement la possibilité d’aller vous voir à Augerville1, projet toujours cher et toujours contrarié.

Je vous ai écrit que les eaux m’avaient fait plus de mal que de bien. Je n’ai retrouvé une santé passable qu’en reprenant mon régime de repas unique et pris de bonne heure. Le régime contraire que je suivais à Plombières2, c’est-à-dire deux repas, toujours trop forts il faut le dire, a paru réussir grâce à l’exercice tant que j’ai été en plein air. A peine de retour et voulant travailler, j’en suis revenu avec succès mais avec beaucoup de peine et d’alternatives, à me remettre en état de souffrir la fatigue. Elle est extrême, mais la plus délicieuse du monde. J’ai commencé dans un état de langueur qui m’a désespéré pendant plusieurs jours. Maintenant je suis à la nage dans la plus forte besogne : j’ai donné un coup de collier qui, je crois, sauvera l’ouvrage qui était passablement embourbé3.

Dites-moi quels gueux sont ces journalistes qui sur je ne sais quel fondement ont assuré qu’une besogne qui, en mettant toutes les circonstances favorables, ne peut être achevée d’un an, allait être vue ces jours ci4 ? Cela m’a valu plus d’un dérangement. Ils ont dit l’année dernière que j’étais mort, ce qui a causé une certaine émotion parmi bon nombre de gens de Champagne et autres qui comptent sans doute sur mon héritage. Ils diront un de ces jours que vous avez enlevé la sultane favorite et vos amis s’étonneront de ne pas être priés à la noce. Tel est ce brillant flambeau, cette conquête de 89 ! Pour parler le langage du jour, qu’on appelle la Presse et qui ne me dédommage pas par les romans feuilletons du peu d’exactitude des nouvelles.

Veuillez donc recevoir de nouveau mes remerciements et prières de m’avertir du moment où vous serez à Augerville. Je travaille jusqu’au 15 environ : ensuite il faut absolument que j’aille à Champrosay pour mes petits travaux de maçon5. Je combinerai d’après le temps que vous resterez chez vous, celui que je pourrai avoir le plaisir de passer près de vous6.

Veuillez présenter mes souvenirs les plus respectueux aux aimables hôtes qui vous tiennent dans ce moment et recevez de nouveau toutes mes tendresses dévouées.

Eug. Delacroix

Je vous écrirai en partant pour Champrosay afin que vous m’y adressiez votre lettre. Si vous ne recevez rien, c’est que je suis à Paris.


1 Augerville-la-Rivière, près de Malesherbes (Loiret) où Berryer avait une propriété. Delacroix s’y rendit à maintes reprises à partir de 1854.

2 Delacroix avait déjà fait un séjour dans cette ville d’eaux des Vosges du 10 août au 31 août 1857. Il y était revenu le 11 juillet 1858 et y demeura jusqu’au 3 août (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1246 à 1255).

3 Il s’agit de la chapelle des Saints-Anges dans l’église Saint-Sulpice. Dans une lettre adressée le 6 octobre 1858 à son cousin Auguste Lamey, Delacroix utilise la même formule « à la nage » (Paris, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet Ms 238 (42) ; Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 47).

4 Le 1er octobre 1858, Berryer avait écrit à Delacroix pour prendre de ses nouvelles, s’inquiétant de n’avoir aucun signe de lui alors que les journaux annonçaient que les travaux à Saint-Sulpice étaient terminés. L’information que Berryer avait lue était erronée : Delacroix était loin d’avoir terminé son chantier (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31 631/83). En fait il n’acheva sa chapelle que près de trois ans plus tard, en juillet 1861. Nous n’avons pas identifié jusqu’à présent quels étaient les journalistes accusés par Delacroix d’avoir annoncé son décès.

5 Delacroix venait d’acheter la maison qu’il louait jusqu’alors à Champrosay et y faisait quelques travaux nécessitant sa présence.

6 Berryer avait informé Delacroix qu’il comptait réunir à Augerville dans la première quinzaine de novembre quelques personnes de sa connaissance (lettre du 1er octobre 1858 ; Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31 631/83).

 

 

Transcription originale

Page 1

Ce 4 oct. 1858.

Mon cher cousin,

que votre lettre est aimable :
elle me fait doublement plaisir
parceque je vois par votre nouvel
arrangement la possibilité d’aller
vous voir à Augerville, projet toujours
cher et toujours contrarié.

Je vous ai ecrit que les eaux m’avaient
fait plus de bien mal [mot interlinéaire] que de mal bien [mot interlinéaire] : je
n’ai retrouvé une santé passable
qu’en reprenant mon regime de
repas unique et pris de bonne heure.
Le regime contraire que je suivais
à Plombieres, c’est à dire deux repas,
toujours trop forts il faut le dire,
a paru reussir grâce à l’exercice, tant
que j’ai eté en plein air : à peine de

 

Page 2

 

ces jours ci ? Cela m’a valu plus
d’un dérangement. Ils ont dit
l’année dernière que j’etais mort,
ce qui a causé une certaine emotion
parmi bon nombre de gens de
champagne et autres qui comptent
sans doute sur mon heritage. Ils
diront un de ces jours que vous
avez enlevé la sultane favorite,
et [mot barré] vos amis s’etonneront
de ne pas etre priés à la noce. Tel
est ce brillant flambeau,
cette conquête de 89 ! pour parler le
langage du jour, qu’on appele la
Presse et qui ne me dédomage pas
par les romans feuilletons pas plus
que par l’
du peu d’[3 mots interlinéaires] exactitude des nouvelles.

Veuillez donc recevoir de nouveau
mes remerciements et prières de

 

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retour et voulant travailler
j’en suis revenu avec Succès mais
avec beaucoup de peine et d’alter-
-natives, à me remettre [mot barré] en [mot interlinéaire] etat
de souffrir la fatigue. Elle est
extrême, mais la plus délicieuse
du monde. J’ai commencé dans
un etat de langueur qui m’a deses-
-peré pendant plusieurs jours. mainte-
-nant je suis à la nage dans la
plus forte besogne : j’ai donné un
coup de collier, qui je crois, sauvera
l’ouvrage qui etait passablement embour-
-bé.

Dites moi quels gueux sont ces
journalistes qui sur je ne scais
quel fondement ont assuré qu’une
besogne, qui en mettant toutes les
circonstances favorables, ne peut etre
achevée d’un an, allait etre vue

 

Page 4

 

m’avertir du moment où vous
serez à Augerville. Je travaille
jusqu’au 15 environ : ensuite il
faut absolument que j’aille à
Champrosay pour mes petits tra-
-vaux de maçon. Je combinerai
d’apres le temps que vous resterez
chez vous, celui que je pourrai
avoir le plaisir de passer près de vous.

Veuillez presenter mes souvenirs
les plus respectueux aux aimables
hôtes qui vous tiennent dans ce
moment et recevez de nouveau
toutes mes tendresses devouées.

Eug Delacroix

Je vous ecrirai en partant pour
Champrosay afin que vous
m’y adressiez votre lettre. Si vous
ne recevez rien, c’est que je [mot interlinéaire] suis à Paris.

 

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