Lettre à Pierre-Antoine Berryer, 14 octobre 1860

  • Cote de la lettre ED-MD-1860-OCT-14-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 14 Octobre 1860
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes Lacombe, 1885, p. 63; Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 203.
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,5x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/112
  • Données matérielles pliée en 3
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Transcription modernisée

Champrosay ce 14 oct. 1860

Mon cher cousin,

Je vous ai promis de vous donner des nouvelles de l’héroïque résolution que j’ai prise et que j’ai tenue jusqu’ici de me lever tous les matins à 5h ½ du matin pour prendre le premier convoi qui me conduit à St Sulpice1 où je travaille quelques heures pour revenir ici dîner de bonne heure, sobrement, se coucher à huit heures pour recommencer le lendemain2. Voilà ma vie depuis un mois et qui me réussit au delà de mes espérances. Non seulement j’ose concevoir l’espoir de terminer, ou à peu près, ma grande entreprise pendante depuis si longtemps, mais ma santé est tout à fait remise et j’ai trouvé un remède que les médecins connaissent peut-être aussi bien que moi, mais qu’ils ne recommandent à personne de peur de faire baisser leurs actions. Non seulement je fais de l’exercice qui a l’avantage d’être forcé et de ne pas être simplement une promenade sans autre but qu’elle-même, mais je n’ai pas un seul moment de vide ou d’ennui, grande recette aussi pour la santé, pour la mienne au moins. L’intérêt, la passion pour mon travail m’enivre pendant toutes ces courses et les trajets eux-mêmes qui ne durent pas longtemps, m’amusent plus qu’ils ne me fatiguent.

Tout cela est au prix d’un sacrifice qui me coûte beaucoup, celui des charmants moments que vous m’invitiez à passer près de vous. Mais il faut battre le fer pendant qu’il est chaud et il l’est à travers la pluie continuelle qui semble conspirer contre ma constance pour me geler dans les voitures et m’ôter le jour pendant que je travaille. Je ne redoute guère qu’un rhume qui serait un obstacle sérieux. Sauf cet inconvénient, je continuerai autant que je le pourrai et ne me ralentirai pas car mon entrain s’accroît et la fatigue du premier jour diminue.
Je vous assure que je cours à mon église avec une ardeur que nous mettions autrefois à courir dare, de tout autre lieu.

Ecrivez-moi, cher et respecté cousin, que vous m’approuvez et qu’une âme comme la vôtre comprend et encouragera le beau zèle3. Je suis heureux de me le trouver encore et je m’aperçois que mon corps est plus vieux que mes sentiments et ma passion pour la peinture.

Mille et mille tendresses mêlés à mes regrets et à mon bien sincère attachement.

Eug. Delacroix

à Champrosay par Draveil

(Seine-et-Oise)


1 Dans une précédente lettre (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31631/111), Delacroix avait promis à Berryer de lui donner des nouvelles de l’avancement du chantier de la chapelle des Saints-Anges de l’église Saint-Sulpice dont il avait été chargé en 1849.

2 On trouve ces mêmes précisions dans la lettre que Delacroix adresse à Auguste Lamey le 2 octobre 1860 (Paris, Bibliothèque de l’INHA, collections Jacques Doucet, inv. Ms 238 (70) ; Joubin, Corr. Gén, t. IV, p. 200-202).

3 Le 16 octobre, Berryer avait écrit à Delacroix le croyant « enfermé » dans sa « retraite de Champrosay ». Ayant reçu la lettre de Delacroix au moment où il terminait la sienne, Berryer rajouta un post-scriptum pour assurer son cousin qu’il se réjouissait de le savoir ainsi occupé (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31631/113).

 

Transcription originale

Page 1

Champrosay ce 14 oct.

1860.

Mon cher cousin,

Je vous ai promis de
vous donner des nouvelles de
l’heroïque résolution que j’ai prise
et que j’ai tenue jusqu’ici de me
lever tous les matins à 5 h ½ du
matin pour prendre le premier
convoi qui me conduit a St Sulpice
où je travaille quelques heures
pour revenir ici diner de bonne heure,
sobrement, se coucher a huit
heures pour recommencer le lendemain.
Voila ma vie depuis un mois et
qui me réussit au dela de mes
esperances. non seulement j’ose
concevoir l’espoir de terminer ou

 

Page 2

 

à peu près, ma grande entreprise
pendante depuis si longtemps,
mais ma santé est tout a
fait remise et j’ai trouvé un
remède que les medecins [mot barré]
[mot barré] connaissent peut etre
aussi bien que moi, mais qu’ils ne
recommandent à personne de
peur de faire baisser leurs actions.
non seulement je fais de l’exercice
qui a l’avantage d’etre forcé et
de ne pas être simplement une
promenade sans autre but qu’elle
meme, mais je n’ai pas un seul
moment de vide ou d’ennui,
grande recette aussi pour la santé,
pour la mienne au moins. l’interet,
la passion pour mon travail m’enivre
pendant toutes ces courses et les
trajets eux mêmes qui ne durent

 

Page 3

 

pas longtemps, m’amusent plus
qu’ils ne me fatiguent.

Tout cela est au prix d’un
sacrifice qui me coute beaucoup,
celui des charmants moments
que vous m’invitiez a passer près de
vous : mais il faut battre le fer
pendant qu’il est chaud et il
l’est à travers la pluie continuelle
qui semble conspirer contre ma
constance pour me gêler dans
les voitures et m’oter le jour
pendant que je travaille. Je
ne redoute guères qu’un rhume
qui serait un obstacle serieux :
sauf cet inconvenient, je conti-
-nuerai autant que je le pour-
-rai et ne me rallentirai pas
car mon entrain s’accroit et
la fatigue du premier jour diminue.

 

Page 4

 

Je vous assure que je cours à mon
eglise avec une ardeur que nous
mettions autrefois à courir dare,
de tout autres lieux.

écrivez moi, cher et respecté
cousin que vous m’approuvez et
qu’une âme comme la vôtre
comprend et encouragera le
beau zêle. je suis heureux de me
le trouver encore et je m’apperçois
que mon corps est plus vieux que
mes sentimens et ma passion
pour la peinture.

Mille et mille tendresses
melés à mes regrets et à mon bien
sincere attachement.

Eug Delacroix

à Champrosay par Draveil

(Seine et oise)

 

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