Lettre à Pierre-Antoine Berryer, 15 janvier 1861

  • Cote de la lettre ED-MD-1861-JAN-15-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 15 Janvier 1861
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes Lacombe, 1885, p. 65; Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 230.
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès de la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,7x26,7
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/116
  • Données matérielles pliée en 3
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Transcription modernisée

Ce 15 janvier 1861

Mon cher cousin,

J’aurai le plus grand plaisir à faire ce que vous me demandez et cela à votre considération unique, à cause de la presse où je suis1 qui me rendrait impossible dans ce moment de faire même un croquis : je ne peux que faire retourner mes cartons pour vous envoyer quelque dessin qui fasse acte de bonne volonté2. J’ai regret de vous dire entre nous, que Mde de Beauveau m’a toujours regardé de travers : elle était la grande amie de mon camarade Delaroche3, qui, me regardant comme un des mauvais sujets de la peinture, aura communiqué à l’illustre princesse une partie de ses antipathies. Je vous enverrai donc à vous le peu ou le beaucoup que je pourrai découvrir. Je me lève avec le jour, je ne fais point ma barbe : finir demande un cœur d’acier4. Il faut prendre un parti surtout et je trouve des difficultés où je n’en prévoyais point. Pour tenir à cette vie, je me couche de bonne heure sans rien faire d’étranger à mon propos et ne suis soutenu, dans ma résolution de me priver de tous plaisirs, et au premier rang celui de rencontrer ceux que j’aime, que par l’espoir d’achever. Je crois que j’y mourrai. C’est dans ce moment que vous apparaît votre propre faiblesse et combien ce que l’homme appelle un ouvrage fini ou complet, contient de choses incomplètes et impossibles à compléter.

Aimez-moi absent. Si vous étiez chez vous le soir, j’aurais été vous conter mes peines et solliciter votre indulgence.

Votre mille fois et respectueusement dévoué cousin,

Eug. Delacroix


1 Delacroix était en train de terminer la décoration de la chapelle des Saints-Anges à l’église Saint-Sulpice dont il avait été chargé en 1849.

2 Berryer avait écrit à Delacroix le 14 janvier pour lui demander de bien vouloir participer à une loterie organisée par la princesse de Beauvau en offrant un croquis même peu important signé (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31631/115).

3 Paul Delaroche dont elle était l’amie avait fait son portrait en 1840 (Montréal, musée des Beaux-Arts).

4 Le même jour, Delacroix a recopié dans son Journal, le passage de cette lettre depuis : « finir demande un cœur d’acier » jusqu’à « impossibles à compléter » (Journal, éd. Hannoosh, t. I, p. 1383).

Transcription originale

Page 1

Ce 15 janvier 1861.

Mon cher cousin,

J’aurai le plus grand plaisir
à faire ce que vous me demandez
et cela à votre considération unique,
à cause de la presse où je suis qui
me rendrait impossible dans ce moment [3 mots interlinéaires] de faire
même un croquis : je ne peux que
faire retourner mes cartons pour
vous envoyer quelque dessin qui
fasse acte de bonne volonté. J’ai
regret de vous dire entre nous, que
Mde de Beauveau m’a toujours
regardé de travers : elle était la
grande amie de mon camarade
Delaroche, qui me regardant comme
un des mauvais sujets de la peinture,

 

Page 2

 

aura communiqué à l’illustre
princesse une partie de ses anti-
-pathies. Je vous enverrai donc
à vous le peu ou le beaucoup
que je pourrai découvrir : je me
lève avec le jour, je ne fais point
ma barbe : finir demande un
cœur d’acier : il faut prendre
un parti surtout et je trouve des
difficultés où je n’en prévoyais
point : pour tenir à cette vie, je
me couche de bonne heure sans
rien faire d’etranger à mon propos
et ne suis soutenu, dans ma resolution
de me priver de tous plaisirs, et au
premier rang celui de rencontrer ceux
que j’aime, que par l’espoir d’achever.
Je crois que j’y mourrai : c’est dans

 

Page 3

 

ce moment que vous apparait
votre propre faiblesse et combien
ce que l’homme appelle un ouvrage
fini ou complet, contient de
choses incomplettes et impossibles
a completter.

Aimez moi absent. Si vous
etiez chez vous le soir, j’aurais
eté vous conter mes peines et
solliciter votre indulgence.

Votre mille fois et respectueusement
devoué cousin,

Eug. Delacroix

 

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