Lettre à Pierre-Antoine Berryer, 23 août 1861

  • Cote de la lettre ED-MD-1861-AOU-23-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Pierre-Antoine BERRYER
  • Date 23 Août 1861
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes Lacombe, 1885, p. 69 (partiellement); Joubin, Corr. gén, t. IV, p. 267 (idem).
  • Historique Acquise par le service des bibliothèques et des archives des musées nationaux avec la participation de la Société des Amis d’Eugène Delacroix auprès de la librairie Les Autographes, février 1992.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,5x26,5
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque LA 31631/123
  • Données matérielles pliée en 3
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Transcription modernisée

Champrosay, ce 23 août 1861

Mon cher cousin,

Je ne vous ai pas encore dit tout le bonheur que m’a donné votre lettre écrite il y a déjà quelques jours sur l’impression que vous avez eue de ma chapelle1. J’ai été malade et ai craint un moment d’être repris de mes précédentes indispositions. Ce n’est pas cela au reste qui m’a empêché de vous dire tout le plaisir que vous m’avez fait, combien cette lettre remplie de verve et de bonté m’a grandi à mes propres yeux en voyant toutes mes intentions si admirablement exprimées dans l’art qui est votre domaine. J’avais espéré voir Madame de La Grange ou lui écrire de manière à connaître le moment précis de son séjour à Augerville2 et à y conformer mes arrangements pour aller m’entendre dire par vous et en vous embrassant ce que votre lettre m’a déjà si bien exprimé et ce que j’ai vu avec plus de reconnaissance, s’il est possible, dans le billet que vous avez pris la peine d’écrire chez moi et que je n’ai vu qu’hier. Car c’était la première fois que je retournais à Paris depuis que je l’avais quitté : mon malaise pendant les chaleurs ne m’avait pas laissé la force d’y aller quoique ma présence y fut nécessaire pour la toilette définitive de ma chapelle3. Hier donc j’y suis arrivé comme on venait de démolir la clôture, de sorte que le bon public est le maître d’admirer ou de gloser. Dieu veuille qu’il ait vos yeux et votre jugement dont vous avez l’air de vous défier, comme si nous ne travaillions que pour des mangeurs de peintures et pour un tas d’artistes qui, au fond, n’admirent rien qu’eux-mêmes.

Soit en retournant à Paris, soit par lettres, j’espère avoir le mot de Mad. de la Grange avec qui je serai bien heureux de me retrouver et près de vous et le plus tôt que je pourrai sera ce qui me charmera le plus. Je suis aussi obligé de faire concorder mes absences de Paris dans le mois de septembre avec la nécessité où je suis de me trouver à deux jugements de concours de jeunes peintres pour les prix de Rome; deux de ces concurrents m’intéressent réellement4.

Adieu, mon cher cousin, et qu’on ne sait comment remercier pour sa bonté ou admirer pour son génie.

Votre mille fois et respectueusement dévoué,

Eug. Delacroix


1 La chapelle des Saints-Anges dans l’église de Saint-Sulpice. Au sortir de sa visite, le 13 août, Berryer avait écrit quelques lignes enflammées à Delacroix (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31631/121). Le 17 août, il lui avait adressé une lettre circonstanciée (idem, LA 31631/122).
2 Augerville-la-Rivière, près de Malesherbes (Loiret) où Berryer avait une propriété. Delacroix s’y rendit à maintes reprises à partir de 1854. Dans sa lettre du 17 août (Paris, musée Eugène Delacroix, LA 31631/122), Berryer suggérait à Delacroix de se concerter avec Madame de La Grange pour un prochain voyage à Augerville.
3 D’après la lettre de Delacroix à Thoré du même 23 août 1861, la clôture avait en effet été démolie le 21 (Joubin, Corr. Gén, t. IV, p. 268-269).
4 Delacroix s’intéressait notamment aux délibérations concernant l’attribution du premier Grand Prix du Paysage historique pour lequel concourait le fils de son ami Alexandre Colin, Paul-Alfred (1838-1916). Le sujet proposé aux concurrents était La Marche de Silène. Le prix fut attribué à Paul-Albert Girard (1832-1920) (cf. Philippe Grunchec, Les Concours des prix de Rome de 1797 à 1863, Paris, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, 1983, p. 319). Au lendemain du jugement auquel il avait pris part, Delacroix fit part de ses regrets le 15 septembre à Alexandre Colin (Joubin, Corr. Gén, t. IV, p. 273-274).

 

 

Transcription originale

Page 1

Champrosay ce 23 aout.

1861

Mon cher cousin

Je ne vous ai pas encore dit
tout le bonheur que m’a donné
votre lettre ecrite il y a deja quelques
jours sur l’impression que vous avez
eue de ma chapelle. J’ai eté
malade et ai craint un moment
d’etre repris de mes précedentes in-
-dispositions. ce n’est pas cela au
reste qui m’a empeché de vous
dire tout le plaisir que vous m’avez
fait, combien cette lettre remplie
de verve et de bonté m’a grandi
à mes propres yeux en voyant toutes
mes intentions si admirablement
exprimées dans l’art qui est votre

 

Page 2

 

domaine : j’avais esperé voir
Madame de la Grange ou lui
ecrire de maniere à connaitre
le moment précis de son sejour
à augerville et à y conformer
mes arrangements pour aller
m’entendre dire par vous et en
vous embrassant ce que votre lettre
m’a deja si bien exprimé et [mot interlinéaire] ce
que j’ai vu avec plus de recon-
-naissance s’il est possible dans
le billet que vous avez pris la
peine d’ecrire chez moi et que
je n’ai vu qu’hier : car c’etait la
premiere fois que je retournais à
Paris depuis que je l’avais quitté :
mon malaise pendant les chaleurs

 

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ne m’avait pas laissé la force
d’y aller quoique ma présence
y fut nécessaire pour la toilette
definitive de ma chapelle. hier
donc j’y suis arrivé comme on
venait de démolir la cloture,
de sorte que le bon public est le
maitre d’admirer ou de gloser.
Dieu veuille qu’il ait vos yeux
et votre jugement dont vous
avez l’air de vous défier, comme
si nous ne travaillions que pour
des mangeurs de peintures et
[mot barré] pour un [deux mots interlinéaires] tas d’artistes qui au fond
n’admirent rien qu’eux mêmes.

Soit en retournant à Paris, soit
par lettres j’espere avoir le mot
de mad. de la Grange avec qui

 

Page 4

 

je serai bien heureux de me
retrouver et près de vous et le
plutot que je pourrai sera ce qui
me charmera le plus. Je suis
aussi obligé de faire concorder
mes absences de Paris dans le
mois de septembre avec la
nécessité où je suis de me
trouver à deux jugements de
concours de jeunes peintres pour les
prix de Rome; deux de ces concurents
m’interessent reellement.

Adieu mon cher cousin et
qu’on ne scait comment remercier
pour sa bonté ou admirer pour
son génie

Votre mille fois et respectueusement
devoué

Eug Delacroix

 

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