Lettre à Jean-Baptiste Pierret, Londres, 12 août 18[25]

  • Cote de la lettre ED-ML-1825-AOU-12-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Jean-Baptiste PIERRET
  • Date 12 Août 1825
  • Lieux de conservation Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , 1935, t.I, p.169-171 ; Sérullaz, Paris, Louvre, 1992, n°104 ; Chillaz, 1997, Aut 539, p.104 .
  • Historique Legs Etienne Moreau-Nélaton, 1927
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 2
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 23x18,8
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque AR18L25
  • Observations Une demi-page adressée à Félix Guillemardet en fin de lettre
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Transcription modernisée

Londres, 12 août [1825]1

Je reçois une lettre de toi, mon cher ami, et je suis surpris que vous n’ayez pas eu de mes nouvelles. J’avais écrit à toi et je ne sais plus à qui par un Français qui retournait à Paris2 . Je pense que vous avez ma lettre ou qu’elle est dans la poche du monsieur. Je me rappelle que je te priais entre autres choses de voir s’il serait possible de retrouver un petit paquet de gumwater (gomme) que Fielding m’avait envoyé dans le temps, si tu t’en souviens, et de le donner, ou au moins bonne partie, à M. Auguste, rue des Martyrs, n° 11.
Je reviens depuis trois jours d’un voyage fort agréable en Essex, où j’ai été par mer dans le navire d’un noble Anglais qui y possède un château où j’ai passé quelques jours. Comme le temps était contraire pour retourner à Londres, nous avons fait plusieurs excursions par quelques mauvais temps qui m’ont fait voir la mer un peu méchante. Du reste, l’Angleterre me semble peu amusante. Il n’y aurait qu’un motif bien puissant, comme par exemple d’y faire des affaires, qui pût m’y retenir. J’ai vu seulement dans mon séjour la possibilité de travailler fructueusement un jour dans ce pays regorgeant d’or.
Je serai à Paris vers la fin du mois. J’ai trouvé ta lettre hier en rentrant, rongé de mélancolie. Elle m’a fait un plaisir infini aussi bien que celle de Leblond , que je te prie de remercier beaucoup. Vos lettres sont si agréables pour moi ! Vous n’avez rien quitté de vos habitudes et une personne de moins ne fait jamais une différence aussi sensible que lorsqu’on quitte tout à la fois. Quoi qu’il en soit, les voyages sont une bonne chose. Ils vous donnent des émotions nouvelles. Ils vous font juger par vous-mêmes des autres pays et retrouver le vôtre avec plaisir. J’entrevois la possibilité par la suite d’un établissement dans ce pays, mais ce n’est pas sans appréhension. Il faudrait bien des guinées pour en faire digérer la monotonie, ou y faire assez d’amis véritables pour y faire trouver le temps court. Encore regretterait-on toujours les autres véritables qu’on a laissés derrière soi et qui sont les premiers en date. Je me rappelle à Mme Pierret, Mlle Annette3 et M. Louis, sans oublier Baptiste, Claire et Juliette4, que j’embrasse.

(La suite de la lettre est adressée à Félix Guillemardet.)

Mon cher Félix,
Aurai-je le plaisir de te revoir à mon retour, j’en doute si tu pars pour la Bourgogne. Comme d’habitude j’aurai de la peine à me faire à l’idée de revenir en France et de ne pas te trouver sur la [mot barré] petite rangée d’amis que je regrette ici. A propos, je me rappelle que tu m’as dit que tu apprenais l’anglais. Je m’en réjouis. Je compte te demander quelques leçons à mon retour, si tu as déjà fait tous les progrès que je suppose. Je suis si horriblement paresseux que je n’ai aucunement travaillé l’anglais et que je n’ai pas fait tous les progrès que je devais raisonnablement espérer, après trois mois environ de séjour. Au reste, comme il arrive toujours, je quitte le pays juste au moment où j’allais parler avec quelque facilité. Tous les Français qui sont ici disent que cela vient tout à coup après quelques mois. Mais nous y travaillerons ensemble, ça me console.
Les théâtres sont presque tous fermés. Tout le monde est à la campagne. On ne rencontre plus un équipage dans les rues. Ceux qui restent à Londres (j’entends les personnes distinguées) se gardent bien de se montrer ou habitent le derrière de leur maison. Il serait de la dernière indécence d’être à la ville pendant cette saison. — Il n’y a plus guère que l’opéra anglais, et la musique est une des choses dont l’industrie ni les machines ne sauraient donner le sentiment. Adieu, mon bon ami, je me rappelle à ta mère et à toute ta famille. Le plaisir de les revoir ne sera pas moindre que celui de t’embrasser.                       E.Delacroix

 


1Delacroix se trouve en Angleterre depuis le 19 mai 1825. Il rejoint la France fin août.
2Voir la lettre à Pierret du 1er août 1825 : « Je profite du départ d’un monsieur pour t’écrire quelques mots ». (Joubin, Corr. Gén. t. I., p.164).
3Annette Pierret, la soeur de Jean-Baptiste Pierret.
4Les enfants de Pierret. Delacroix fit le portait de Claire en 1826 (Johnson, Critical Cat. t.I, p.58) et de Juliette en 1827 (op.cit. p.59).

 

 

Transcription originale

Page 1

Londres. 12 aout.
Je reçois une lettre de toi, mon cher ami, et je suis
surpris que vous n’ayez pas eu de mes nouvelles. J’avais ecrit
à toi et je ne sçais plus à qui par un Français qui retournait
à Paris. Je pense que vous avez ma lettre ou qu’elle est dans
la poche du monsieur. Je me rappelle que je te priais entr’
autres choses de voir s’il serait possible de retrouver
un petit paquet de Gumwater (gomme) que fielding
m’avait envoyé dans le temps si tu t’en souviens, et de
le donner ou aumoins bonne partie, à Mr. Auguste
rue des martyrs n° 11. — Je reviens depuis trois jours
d’un voyage fort agreable en Essex, où j’ai été par mer
dans le navire d’un noble anglais qui y possède un
chateau où j’ai passé quelques jours. Comme le temps
était contraire pour retourner à Londres, nous avons fait
plusieurs excursions par quelques mauvais temps, qui m’ont
fait voir la mer un peu méchante. Du reste L’angleterre
me semble peu amusante. Il n’y aurait qu’un motif bien
puissant comme par ex. d’y faire des affaires qui pût
m’y retenir. j’ai vu seulement dans mon séjour lapossibilité
de travailler fructueusement un jour dans ce pays regorgeant
d’or — Je serai à Paris vers la fin du mois. j’ai trouvé ta
lettre hier en rentrant rongé de melancolie. elle m’a fait
un plaisir infini aussi bien que celle de Leblond Que je te
prie de remercier beaucoup. Vos lettres sont si agréables pour
moi. vous n’avez rien quitté de vos habitudes et unepersonne

 

Page 2

de moins ne fait jamais une difference aussi sensible que
lorsqu’on quitte tout à la fois. Quoi qu’il en soit les voyages
sont une bonne chose. ils vous donnent des emotions nouvelles.
ils vous font juger par vous-mêmes des autres pays et retrouver
le votre avec plaisir. J’entrevois la possibilité par la suite d’un
etablissement dans ce pays, mais ce n’est pas sans appréhension.
Il faudrait bien des guinées pour en faire digerer la monotonie,
ou y faire assez d’amis veritables pour y faire trouver le temps
court : encore regretterait on toujours les autres véritables qu’on
aurait laissés derrière soi et qui sont les premiers en date.
Je me rappelle à Mme Pierret, Mlle Annette et Mr. Louis, sans oublier Baptiste, Claire et Juliette, que j’embrasse. [cette dernière phrase en tout petits caractères]
Mon cher felix, aurai je le plaisir de te revoir à mon
retour, j’en doute si tu pars pour labourgogne. Comme d’habitude
j’aurai delapeine à me faire à l’idée de revenir en France et
de nepaste trouver sur la [mot barré] petite rangée d’amis que
je regrette ici. à propos je me rappelle que tu m’as dit que tu
apprenais l’anglais. Je m’en réjouis. je compte te demander
quelques leçons à mon retour si tu as deja fait tous les progrès
que je suppose. Je suis si horriblement paresseux que je n’ai
aucunement travaillé l’anglais et que je n’ai pas fait tous les
progrès queje devais raisonnablementesperer, après 3 mois environ
desejour. au reste, comme il arrive toujours, je quitte le pays
juste au moment où j’allais [mot barré] parler avec quelque facilité. Tous les
français qui sont ici disent que cela vient tout à coup apres quelques mois. Mais
nous y travaillerons ensemble, ça me console ─ Les théatres sont presque tous
fermés. tout le monde est à la campagne. on ne rencontre plus un équipage
dans les rues. Ceux [mot barré] qui y restent à Londres (j’entends les personnes
distinguees) se gardent bien de se montrer ou habitent le derrière de leur
maison. il serait de la dernière indecence d’etre à la ville pendant cette
saison. — Il n’y a plus guère que l’opera anglais et la musique est une des choses dont
l’industrie ni les machines ne sauraient donner le sentiment. Adieu mon bon ami
je me rappelle à ta mere et à toute ta famille. Le plaisir de les revoir ne sera pas moindre que celui de t’embrasser.                               E Delacroix

 

 

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