Lettre à Jean-Baptiste Pierret, [11 juin 1826]

  • Cote de la lettre ED-ML-1826-JUIN-11-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Jean-Baptiste PIERRET
  • Date 11 Juin 1826
  • Lieux de conservation Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , 1935, t.I, p.182-184 ; Johnson, Critical Cat. , t. I, p. 105; Chillaz, 1997, Aut 540, p.104.
  • Historique Legs Etienne Moreau-Nélaton, 1927
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 4
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 4°
  • Dimension en cm 25,2x20
  • Cachet de cire Oui
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque AR18L26
  • Cachet de la poste [1er cachet] Jui 1826 // 13 ; [2e cachet] P.56.P / /LA CHARITE
  • Données matérielles 2 pages d’une autre main que celle de Delacroix; la troisième de la main de Delacroix
  • Œuvre concernée Combat du Giaour et du Pacha (1826)
    La Grèce sur les ruines de Missolonghi
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Transcription modernisée

La Charité, Dimanche [11 juin 1826]1

Mon cher Pierret,
Je vous ai écrit pour réclamer mon paquet et il est arrivé hier. Ainsi, nous voilà tous tranquilles je l’ai reçu, endossé, je suis heureux, content, et je possède Lacroix que vous m’avez envoyé en poste. Cette surprise m’a rajeuni et nous venons de dîner chez mes amis qui sont les amis plus anciens de Delacroix puisque le papa l’a eu sur ses genoux. Nous causons depuis trois jours et nous n’avons pas encore dit la moitié de notre affaire, mais tout cela viendra à force de jouer de la mâchoire. Cher ami, nous voudrions bien vous tenir ici pour cinq minutes pour vous en dégoiser, et moi surtout pour vous remercier et dire mille tendresses. Nous avons parcouru La Charité, où nous avons joui des antiquités gothiques, lombardes et autres et je vois avec délice que je pourrai revoir mes amis dans ce pays-ci lorsque je me serai décidé à y prendre racine. En attendant, cher ami, répondez-nous, donnez-nous le plaisir de recevoir de vos nouvelles pour deux et de nous faire croire que nous avons beaucoup d’esprit. Remuez cette poussière des bureaux et redevenez écrivailleur pour deux amis sterlings ( ?). Adieu, cher Pierret, embrassez pour nous, vous, femmes, enfants, chiens et chats. Quant à ma mère, elle a toujours l’air d’être la vôtre, et je confonds les deux dans mes souvenirs. Adieu, cher ami, vous jugez de mon bonheur et de nos gamineries et farces, ainsi ne demandez pas une lettre, mais de l’amitié et de la bonne bêtise, bonne, franche et embrassante. Adieu, comprenez-nous si vous pouvez et embrassez votre ventre comme M. de Villèbe, car nous voterons toujours pour vous, comme on vote pour lui.

(La suite de la lettre est écrite de la main de Delacroix.)


Je prends la place du préopinant2 : j’ai fait un voyage des plus agréables et je t’écris un mot de chez un de nos amis communs qui date de vingt-quatre ans . Tu vois que toi ni Soulier n’étaient les premiers en date, pas même Guillemardet qui est plus ancien que vous tous. On ne peut être plus heureux que je ne suis : et je n’ai qu’un regret, c’est qu’en te retrouvant je me retrouverai dans ce scélérat de Paris, loin des rossignols, des ânes, des canards, qui ont tous bien plus d’esprit que les Quarante. (Affaires)

L’encadreur doit apporter le cadre de mon tableau du Giaour3 avant le 15.est plus ancien que vous tous. S’il ne l’a pas fait, va chez lui : M. Crozet, rue Saint-Germain-l’Auxerrois, n° 89, au troisième. Sitôt qu’il aura encadré le tableau à l’atelier, écris à Bastiano4 de venir te parler le matin avant ses séances, c’est-à-dire vers 6 heures du matin. Tu le chargeras de le prendre à l’atelier et de le porter rue du Gros-Chenêt en spécifiant que c’est pour le renouvellement de l’exposition. Son adresse : M. Vicentini, rue Perdue, n° 20, près la place Maubert. Écris gros. — Je suis très heureux. C’est rare. Embrasse pour moi ta femme, ce que je n’ai pas fait avant de partir ni toi ; conserve cette lettre, c’est après boire. Je t’embrasse comme je t’aime.

E. Delacroix.

A Monsieur
Monsieur Pierret Esqre
Rue de l’Université N° 46
F B. S1 Germain
à Paris.


1Cette première partie de lettre serait écrite de la main du Général Charles de Coëtlosquet (1783-1836), directeur du personnel au ministère de la Guerre et dont la famille avait une propriété de campagne à la Charité-sur-Loire.La lettre est cachetée du cachet de cire noire aux armes de la famille. Une lettre de Delacroix à Pierret écrite le lendemain 12 juin est rédigée sur du papier à en-tête du ministère de la Guerre. Le cachet postal indique 14 juin (mercredi).
Par ailleurs, le peintre y évoque sa lettre rédigée la veille, celle-ci donc, datée du 13 juin sur le cachet postal.
2Le Général Charles de Coëtlosquet (1783-1836) chez lequel Delacroix est invité et pour lequel il peignit la Nature morte aux homards (Johnson,Critical Cat.,t.I, p.170, J161).
3Le Combat du Giaour et du Pacha (Johnson, Critical Cat., t.I, p. 103, J114), d’après le passage des Contes orientaux de Byron publiés en 1813 sous le titre : The Giaour, a fragment of turkish tale. Delacroix peint quatre versions sur ce même thème de 1826 à 1856.
4Bastiano Vicentini, modèle et homme de main de Delacroix.
5La galerie Lebrun, 4 rue du Gros-Chenêt, présentait une exposition au profit des Grecs , inaugurée le 15 mai 1826. Delacroix y exposa son Exécution de Marino Faliero (Londres,Wallace collection), un Dom Juan (localisation inconnue), Un officier turc tué dans les montagnes (Zürich, Emile Bürhle Foundation). Il introduisit en juin  le Combat du Giaour et du Pacha ( Chicago, The Art Institute) parce qu’il n’était probablement pas terminé à la mi-mai, numéro 44 du catalogue, puis en août  La Grèce sur les ruines de Missolonghi (Bordeaux, MBA).

 

 

 

 

Transcription originale

Page 1

La Charité Dimanche

Mon cher Pierret, je vous ai écrit pour réclamer
mon paquet, et il est arrivé hier—ainsi nous voilà tous
tranquil je lai reçu, endossé, je suis heureux, content,
et je possède Lacroix que vous m’avez envoyé en
Poste, cette surprise m’a rajeuni et nous
venons de diner chez mes amis qui sont les
amis plus anciens de delacroix puisque le
Papa l’a eu sur ses genoux. Nous causons
depuis trois jours et nous n’avons pas
encore dit la moitié de notre affaire mais
tout cela viendra à force de jouer de
la mâchoire. Cher ami, nous voudrions
bien vous tenir ici pour cinq minutes pour
vous en dégoiser, et moi surtout pour vous
remercier et dire mille tendresses. Nous
avons parcouru La Charité, où nous avons
joui des antiquités gothiques, lombardes
et autres et je vois avec délices que
je pourrai revoir mes amis dans ce
pays ci lorsque je me serai décidé
a y prendre racine. En attendant,

 

Page 2

cher ami, répondez-nous, donnez-nous
le plaisir de recevoir de vos nouvelles
pour deux et de nous faire croire
que nous avons beaucoup d’esprit,
remuez cette poussière des Bureaux
et redevenez écrivailleur pour deux
amis sterlings. Adieu cher Pierret,
embrassez pour nous, vous, femmes,
enfants, chiens et chats. Quant
à ma mère elle a toujours l’air d’être
la vôtre, et je confonds les deux dans
mes souvenirs. Adieu cher ami,
vous jugez de mon bonheur et de
nos gamineries et farces, ainsi ne
demandez pas une lettre, mais de
l’amitié et de la bonne bêtise, bonne,
franche et embrassante. Adieu,
comprenez-nous si vous pouvez et
embrassez votre ventre comme M.
e Villebe, car nous voterons toujours
pour vous, comme on vote pour lui.

 

 

Page 3

je prends la Place du Preopinant : j’ai fait un
voyage des plus agréables et je t’écris un mot de
chez un de nos amis communs qui date de 24
ans. Tu vois que toi ni Soulier n’étaient les
premiers en date pas même Guillemardet qui
estplusancienquevous tous. On ne peutetre
plus heureux queje ne suis : et je n’ai qu’un regret—C’est
qu’enteretrouvant je me retrouverai dans ce scélérat
deParis, loin des Rossignols des ânes des canards qui
ont tous bien plus d’esprit que les 40 (affaires) [affaires, interlinéaire sup.].l’encadreur
doit apporter le cadre de mon tableau du Giaour [du Giaour, interlinéaire sup.] avant le 15. S [’il] (un trou dans l’original)
ne l’a pas fait va chez lui : M. Crozet, rue Saint-G[ermain] (un trou dans l’original)
L’auxerrois n° 89 au3eme— Sitot qu’il aura encadre
le tableau à l’atelier mot barré écris à Bastiano
de venir te parler le matin avant ses séances c.a.d vers 6h
du matin. Tu le chargeras de leprendre à l’atelier et de
leporter rue du Gros chenêt en spécifiant que cest pour
le renouvellement de l’exposition
. Son adresse : Mr.
[pâté d’encre] Vicentini rue Perdue n° 20, près la place Maubert.
écris gros. —jesuis très heureux. C’est rare. Embrasse
pour moi ta femme ceque je n’ai pas faitavant de partir ni toi.
conserve cette lettre c’est après boire. Je t’embrasse comme je
t’aime.                                   E. Delacroix. ────────────

 

Page 4

A Monsieur
Monsieur Pierret Esqre
Rue de l’Université N° 46
F B. S1 Germain
à Paris.

 

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