Lettre à Guillaume Auguste Lamey, 10 février 1858

  • Cote de la lettre ED-IN-1858-FEV-10-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 10 Février 1858
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. IV, p. 12-13.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,5x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 34
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Transcription modernisée

 

Ce 10 février 1858

Cher bon cousin,

 

J’ai envie de vous écrire pour vous prier de ne point m’envoyer ce pâté dont vous me parlez : j’en suis indigne : je ne peux encore donner à dîner à personne, car je persiste à ne pas sortir le soir et à ne parler que le moins possible. En second lieu, mon estomac est toujours bien capricieux et le mieux sera de ne le point exposer à la tentation de vos délicieux foies gras. Je ne vous remercie pas moins, cher cousin, de votre aimable attention : je me console en pensant aux petits dîners que nous ferons en tête à tête quand je vous tiendrai ici, ou bien en société avec le bon Guillemardet : alors, j’espère, je pourrai me permettre quelques excès, nous aurons la promenade de mon jardin pour faire la digestion1.

Je viens d’éprouver une grande inquiétude, qui heureusement a eu son adoucissement : ma pauvre Jenny, qui s’était véritablement exténuée dans mon déménagement, a payé pour tout ce zèle que vous lui connaissez, et dont à la vérité je n’avais jamais eu plus besoin. Il y a trois mois qu’elle a eu rhume sur rhume et enfin, il y a une dizaine de jours, elle a été obligée de s’aliter dans une situation qui m’a fait trembler2. La nature l’a secourue et la maladie s’est éloignée : maintenant je la prêche pour se soigner et ne pas retomber dans les mêmes accidents par excès d’occupation.

Je suis enchanté que la grippe n’ait pas eu de prise sur vous. Il ne faut rien négliger. J’entends dire qu’on en vient à bout facilement quand on la prend à temps : mais il y a eu des cas foudroyants.

Mon logement me plait, mon atelier me plait ; j’y travaille, je m’habitue aussi insensiblement au quartier ; nous n’aurons plus cette montagne devant nous pour rentrer à la maison3 : je voudrais déjà vous voir ici. Pour Dieu, apportez une redingote pour voyager et ne négligez rien.

J’ai beaucoup de chagrin de la perte de la pauvre Frédérique4 : j’avais toujours espéré la voir près de vous : c’était une bonne nature et très sympathique.

Adieu, cher cousin : je vous renouvelle les expressions d’un attachement bien sincère et bien profond.

Eugène Delacroix

 


1 Delacroix habite 6, rue Furstenberg à Paris depuis la fin du mois de décembre 1857. Il a un jardin privatif.
2 Delacroix note dans son Journal le 2 février 1858 : "Première visite du docteur Laguerre pour la maladie de Jenny. Elle est arrêtée depuis avant-hier". Puis, entre le 3 et le 6 février, le médecin vient encore quatre fois voir Jenny. (Journal, éd. Hannoosh, t. II, p. 1220-1221).
3 Montmartre, quand il habitait rue Notre-Dame de Lorette.
4 personne non identifiée.

 

 

Transcription originale

Page 1

 

Ce 10 février 1858.

Cher bon cousin

 

J’ai envie de vous ecrire pour
vous prier de ne point m’envoyer ce pâté
dont vous me parlez : j’en suis indigne :
je ne peux encore donner à diner à person-
-ne car je persiste à ne pas sortir le soir
et à ne parler que le moins possible : En second
lieu mon estomac est toujour bien
capricieux et le mieux sera de ne le point
exposer à la tentation de vos delicieux
foies gras. Je ne [mot interlinéaire] vous remercie pas moins,
cher cousin, de votre aimable attention :
je me console en pensant aux petits diners
que nous ferons en tête à tête [mot barré illisible]
quand je vous tiendrai ici, ou bien en
societé avec le bon Guillemardet : alors
j’espère je pourrai me permettre quelques
excès : nous aurons la promenade de
mon jardin pour faire la digestion.

Je viens d’eprouver une grande inquietude
qui heureusement a eu son adoucissement :
ma pauvre Jenny qui s’etait veritablement
extenuée dans mon démenagement a payé

 

Page 2

pour tout ce zèle que vous lui
connaissez et dont à la vérité, je
n’avais jamais eu plus besoin. Il
y a trois mois qu’elle a eu rhume sur
rhume et enfin il y a une dizaine
de jours, elle a eté obligée de s’aliter
dans une situation qui m’a fait
trembler. La nature l’a secouru et
la maladie s’est eloigné : maintenant
je la prêche pour se soigner et ne pas
retomber dans les mêmes accidents
par excès d’occupation.

Je suis enchanté que la grippe n’ait
pas eu de prise sur vous. il ne faut rien
négliger : j’entends dire qu’on en vient
à bout facilement quand on la prend
à temps : mais il y a eu des cas foudroyants.

Mon logement me plait, mon
atelier me plait ; j’y travaille, je m’habitue
aussi insensiblement au quartier ; nous
n’aurons plus cette montagne devant
nous pour rentrer à la maison : je voudrais
deja vous voir ici. Pour Dieu, apportez
une rédingotte pour voyager et ne négligez
rien.

J’ai beaucoup de chagrin de la

 

Page 3

perte de la pauvre Frederique : j’avais
toujours esperé la voir près de vous :
C’était une bonne nature et très
sympathique.

Adieu cher cousin : je vous
renouvelle les expressions d’un attache-
-ment bien sincere et bien profond.

EugDelacroix

 

 

 

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