Lettre à Guillaume Auguste Lamey, 28 février 1858

  • Cote de la lettre ED-IN-1858-FEV-28-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Guillaume-Auguste LAMEY
  • Date 28 Février 1858
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. IV, p. 15-16.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x26,4
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 238 pièce 35
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Transcription modernisée

 

Ce 28 février 1858

Cher et bon cousin,

 

Je ne veux pas tarder plus longtemps à vous donner avis de la réception de votre délicieux cadeau1. Puisque vous le voulez, je me « trufferai » : ma santé n’est pas mauvaise : je ne sors presque pas et je m’en trouve bien.

J’avais déjà pensé à inviter notre bon ami Guillemardet pour assister à l’ouverture de l’enfant de Strasbourg. Je lui ai écrit aussitôt et c’est après-demain que l’opération aura lieu. Je n’ai voulu avoir que lui : nous serons là, les coudes sur la table, parlant de vous et buvant à votre santé en attendant que vous veniez vous-même faire le trio.

Défiez-vous de cette saison si variable : ne point mettre le pied dehors est la meilleure manière de se préserver de ses mauvais effets. Je suis sorti hier pour la première fois depuis huit jours entiers. Je disais l’autre jour à quelqu’un qui s’en étonnait : je n’ai d’autre ambition que de faire ma peinture le mieux possible et je ne demande rien à personne : je n’ai donc ni à flatter ni à intriguer. La plupart des hommes qui pourraient à la rigueur mener ce genre de vie et ne faire que ce qui leur plait, s’imposent de gaieté de cœur des fardeaux insupportables ; à défaut de leurs affaires, ils font celles des autres. La civilité est encore une grande charge qui prend une partie du meilleur temps de la vie.

Je vous embrasse donc en vrai sauvage ou plutôt en rat retiré du monde. Venez habiter mon hermitage2: vous vous croirez aussi loin de Paris qu’à Strasbourg et nos conversations sauront bien animer notre solitude.

Adieu, cher cousin, et à vous de tout cœur.

Eugène Delacroix

 

Jenny vous remercie bien de votre bon souvenir et vous présente ses respects. Sa santé est toujours bien chancelante3.

Je remercie bien M. Schuler4 de ce qu’il vous a dit d’obligeant pour moi : remerciez-le bien de ma part à la première rencontre.

 


1 Dans sa lettre du 10 février 1858, Delacroix, souffrant, lui demande de ne pas lui envoyer de pâté. Il semble que son cousin n’en n’ait pas tenu compte.
2 Son nouveau logement depuis la fin du mois de décembre 1857 au 6 rue Furstenberg.
3 A ce sujet, voir la note 2 de la lettre du 10 février 1858.
4 A propos de Charles Auguste Schuler, voir la note 3 de la lettre du 29 décembre 1855.

 

 

Transcription originale

Page 1

 

Ce 28 fevrier 1858.

Cher et bon cousin,

 

Je ne veux pas tarder plus
longtemps à vous donner avis de la
reception de votre delicieux cadeau. Puisque
vous le voulez, je me trufferai : ma
santé n’est pas mauvaise : je ne sors
presque pas et je m’en trouve bien.

J’avais déjà pensé à inviter notre
bon ami Guillemardet pour assister
à l’ouverture de l’enfant de Strasbourg. Je
lui ai ecrit aussitot et c’est après demain
que l’operation aura lieu. je n’ai voulu
avoir que lui : nous serons là, les coudes sur
la table parlant de vous et buvant à
votre santé en attendant que vous veniez
vous même faire le trio.

Defiez vous de cette saison si variable :
ne point mettre le pied dehors est la
meilleure maniere de se preserver de ses
mauvais effet. Je suis sorti hier pour la
premiere fois depuis huit jours entiers. Je
disais l’autre jour à quelqu’un qui s’en



 

Page 2

etonnait : je n’ai d’autre ambition
que de faire ma peinture le mieux
possible et je ne demande rien à
personne : je n’ai donc ni à flatter, ni à
intriguer. La plupart des hommes qui
pourraient à la rigueur mener ce genre
de vie et ne faire que ce qui leur plait,
s’impôsent [mot barré illisible] de gaieté de cœur, des
fardeaux insupportables ; à defaut de
leurs affaires ils font celles des autres. La
civilité est encore une grande charge
qui prend une partie du meilleur temps
de la vie.

Je vous embrasse donc en vrai
sauvage ou plutot en rat retiré du
monde. Venez habiter mon hermitage :
vous vous croirez aussi loin de Paris qu’à
Strasbourg et nos conversations sauront
bien animer notre solitude.

Adieu cher cousin et à vous
de tout coeur

EugDelacroix

 

Jenny vous remercie bien de votre
bon souvenir et vous présente ses respects.
Sa santé est toujours bien chancelante.

Je remercie bien M. Shuler de ce qu’il

 

Page 3

vous a dit d’obligeant pour moi :
remerciez le bien de ma part à la
première rencontre.

 

 

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