Lettre à Jean-Baptiste Pierret, [25 octobre 1828]

  • Cote de la lettre ED-ML-1828-OCT-25-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Jean-Baptiste PIERRET
  • Date 25 Octobre 1828
  • Lieux de conservation Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , 1935, t. I, p. 228-229 ; Chillaz, 1997, Aut 543, p.105 ; Cat.expo Tours, 1998, p.78.
  • Historique Legs Etienne Moreau-Nélaton, 1927
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 2
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 4°
  • Dimension en cm 25,5x20,3
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe non Signée
  • Cote musée bibliothèque AR18L28
  • Cachet de la poste [1er cachet] 26 oct [2e cachet} 35 Tours [3e cachet} oc 1828 // 27 [4e cachet] tobre
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Transcription modernisée

[Tours1 , 25 octobre 1828.2]

 

Bonjour cher ami, je flâne toute la journée, ce qui ne les empêche pas de passer vite. Comment te portes-tu? Écris-moi cela. Une réflexion est venue attrister la douce perspective de retrouver un billet de mille francs intact. C’est que j’avais oublié dans mes répartitions le sieur Souty3 pour une bagatelle de trois-cents et quelques francs et le sieur Jobin pour une misère de cent-soixante-dix ou cent-quatre-vingt. Ces gênes d’argent nous tracasseront toujours. Si tu avais découvert une mine depuis mon départ, tu m’en ferais part. Guillemardet est-il de retour? Il doit être gras et dodu. Je n’en suis pas encore là, mais je ne maigris point. Voilà une semaine que je veux t’écrire et je tâche à mesure de mettre en réserve dans un coin du cerveau ce que j’ai à te dire. Mais à présent que le moment est venu de lâcher la bonde, je ne me rappelle de rien. Ce que je te recommanderais pourtant le plus instamment, c’est de faire penser Osterwald4 au dessin que Thales5 demande. Si tu étais un peu moins féroce que je ne te connais, tu irais chez M. Barry6, sculpteur -passage Sainte-Marie, maison de Fauconnier, orfèvre- lui dire que, par une étourderie pitoyable, j’ai emballé les animaux qu’il avait bien voulu me prêter avec mes paperasses, et que la crainte qu’ils ne s’égarent ou se plissent en les renvoyant m’a empêché de le faire. Demande-lui en donc pardon et embrasse-toi bien pour moi ainsi que ta femme et toute ta géniture. Je tâche ici de chauffer le chapitre et les curés pour me faire faire des tableaux d’église. J’ai fait un prospectus magnifique que je leur ai délivré. Écris-moi et donne-moi de tes nouvelles. Je t’écris absolument sur le pouce. Toi qui as toute la journée la plume à la main, écris-m’en bien long. Dans la solitude, rien n’est plus doux que des lettres. Je me rouille infiniment. Je n’ai plus cette activité d’esprit qui suppléait autrefois à ma paresse. Je ne trouve plus aux choses le même charme. Hélas ! il y a un prisme charmant qui se décolore de plus en plus. Ce voile couleur de rose commence à se replier bougrement devant moi et je trouve peu de saveur à ce qui autrefois me remuait l’imagination. Elle se glace aussi et n’est plus bonne qu’à me tourmenter à la plus sotte occasion. Tiens, que le diable nous emporte, tout cela est bête, toi, moi, lui, nous, tout le monde. Écris-moi long d’ici à demain, je t’embrasse.

Ce samedi.

Chez M. le général Delacroix, maison Papion, rue Neuve à Tours.


Adresse p.2

Monsieur
Pierret littérateur
Rue Saint-Dominique n° 47 ou 45 au
coin de la rue du bac
à Paris.

 


1Delacroix se trouve à Tours auprès de son frère Charles Delacroix. Il l’avait revu l’année précédente (cf lettre à Soulier, 28 septembre 1827, Joubin, Corr. gén.. t. I. p.196 : « Mon frère est venu à l’improviste…Il y avait la bagatelle de cinq ans que je ne l’avais vu »).
2Samedi, noté par Delacroix en fin de lettre, donc samedi 25 octobre. Voir les cachets postaux.
3Doreur, encadreur, marchand de tableaux. Il commença son activité vers 1826, abandonna son commerce de tableaux en 1847 pour ne s’occuper que d’encadrements. (Hannoosh, Journal, Corti, 2009,p.2343).
4L’éditeur suisse Jean-François Ostervald fait contribuer les frères Fielding, et notamment Thales, à l’illustration de ses ouvrages : Voyages pittoresques en Sicile (1821-1826) et Excursions sur les côtes et dans les ports de France.
5Thales Fielding, de retour à Londres en 1824 après son séjour parisien, reste fidèle à Delacroix. Il s’attache même à faire connaître son œuvre en Angleterre, (voir les quatre lettres de Thales Fielding à Delacroix in Johnson Hannoosh, Nouvelles lettres, p. 95-99 et p.102-108). Les deux amis ont peint leurs portraits « croisés » vers 1824; ils sont exposés au musée Eugène Delacroix.
6Antoine-Louis Barye (1795-1875), sculpteur animalier, avec lequel Delacroix dessine parfois, notamment à l’occasion de la mort du lion de l’amiral de Rigny au Museum d’histoire naturelle en 1829 (voir Joubin, Corresp. Gén. I.p. 225-229 ).Les études de félin écorché par Delacroix (Louvre, Arts graphiques, RF 9697 ;RF 9698 ;RF 9699…) sont à rapprocher de celle faites par Barye (Loffredo, 1981, n°60,61,62,63…).


 

 

Transcription originale

Page 1

Bonjour cher ami, Je flâne toute la journée, ce qui ne les
empêche pas de passer vite. Comment te portes-tu. ecris-moi cela.
Une reflexion est venue attrister la douce perspective de retrouver
un billet de 1000 # intact. C’estque j’avais oublié dans
mes repartitions le sieur Souty pour une bagatelle de 300 et quelques
francs et le sieur Jobin pour une misère de 170 ou 180.
Ces genses d’argent nous tracasseront toujours. Si tu avais decouvert
une mine depuis mon départtu m’en ferais part. Guillemardet
est-il de retour. il doit être gras et dodu. Je n’ensuis pas encore
là : mais je ne maigris point. voilà unesemaine quejeveux
t’écrire et je tache à mesure de mettre en reservedans un
coin du cerveau ce que j’ai à te dire. Mais aprésent quele
moment est venu de lâcher la bonde, je ne merappellederien.
Ce que je te recommanderais pourtant le plus instamment, c’estde
faire penser Osterwald au dessin que Thales demande. Si tu
étais un peu moins féroce queje nete connais tu irais chez Mr.
Barry sculpteur passageSte-Marie maison de Fauconnier orfèvre, lui direque
par une etourderie pitoyable, j’ai emballé les animaux quil avait bien
voulu me prêter avec mes paperasses et que la crainte qu’ils ne s’égarent
ou se plissent en les envoyant m’a empêché de le faire. demande-lui
en donc pardon et embrasse toi bien pour moi ainsi quetafemme et
toute ta géniture. Je tache ici de chauffer le Chapitre et les Curés
pour me faire faire des tableaux d’Eglise. j’ai fait un prospectus
magnifique que je leur ai délivré. Écris-moi et donne-moi de te
nouvelles. Je t’écris absolument sur le pouce,

 

Page 2

toi qui as toute la journée la plume à la main, ecris-m’en bien
long. Dans la solitude rien n’est plus doux que des lettres. Je me
rouille infiniment. je n’ai plus cette activité d’esprit qui
suppléait autrefois à ma paresse. je ne trouve plus aux choses
le même charme. Helas il y a un prisme charmant qui
se décolore de plus en plus. Ce voile couleur de rose

(ici, l’adresse à la verticale :)

Monsieur
Pierret littérateur
Rue Saint-Dominique n° 47 ou 45 au
coin de la rue du bac
à Paris.


commence à se replier bougrement devant moi et je trouve
peu de saveur à ce qui autrefois me remuait l’imagination.
Elle se glace aussi et n’est plus bonne qu’à me tourmenter
à la plus sotte occasion. Tiens que le diable nous emporte,
tout cela est bête, toi moi lui nous tout le monde. Écris
moi long d’ici à demainje t’embrasse.
Ce samedi.

chez M. Le Gal Delacroix maison Papion, rue neuve à Tours.

 

 

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