Lettre à Jean-Baptiste Pierret, 8 janvier 1832

  • Cote de la lettre EL-ML-1832-JAN-08-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Jean-Baptiste PIERRET
  • Date 08 Janvier 1832
  • Lieux de conservation Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , .
  • Historique Legs Etienne Moreau-Nélaton, 1927
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque A 553
  • Cachet de la poste [1er cachet] TOUL // J 1832 ; [2e cachet] 13 JANV 1832
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Transcription modernisée

Toulon, 8 janvier [1832]1

Je t’écris à toi et à Félix dans cette lettre. Je comptais vous écrire une bonne lettre séparément : mais je n’en ai pas le temps. J’ai été attardé et l’heure de la poste me presse. Les lettres sont si longues à aller à Paris que je ne veux pas retarder d’un jour à te donner de mes nouvelles.
Nous avons eu beaucoup de contrariétés dans ce maudit voyage. Un froid et une gelée de chien pour partir. La neige vers Lyon et jusque près d’Avignon comme je ne l’ai pas vue depuis longtemps à Paris, et pour arriver, de Marseille à Toulon une bourrasque de vent et de pluie qui nous a percés. C’est ce qui nous a tant retardés. Heureusement j’espère que nous ne tarderons pas trop à partir. C’est probablement pour après-demain.2 Tu es venu, je crois, à Toulon. C’est un fort beau pays. Voilà le Midi enfin : je me retrouve. La belle vue et les belles montagnes !
Je ne suis pas entré sans tristesse à Marseille. Le temps et sa faux ont rudement travaillé autour de moi et sur des têtes chères depuis le jour où je l’avais quittée. J’ai été heureux d’y retrouver des souvenirs encore vivants de mon père.3
A propos, j’ai vu Fontainebleau en passant. Le vandalisme y fait de fameux coups. Il est inimaginable que la déraison aille à ce point de saccager les admirables restes de peintures qui s’y trouvent pour faire place aux échafauds et à la brosse de M. Alaux le Romain.4 Je suis convaincu que je ne trouverai rien de si barbare en Barbarie.5 Mais la volonté du diable soit faite.
Adieu, bons et chers amis : il en coûte assez de se sentir déjà à 202 lieues de vous autres, et je vais encore voir entre nous un plus grand intervalle. Du reste je me porte fort bien. Cette agitation me plaît. Mon camarade de route est parfait. Je vous embrasse tous sans oublier Mad(ame) Guillemardet et Mad(ame) Pierret.6

Eugène

 

Adresse :
Monsieur Pierret
n°18 rue Ste Anne
à Paris

 



1De janvier à juin 1832,  Delacroix accompagna le Comte Charles Edgar de Mornay dans sa mission diplomatique auprès du sultan du Maroc. Le peintre se trouvait à Toulon depuis quatre jours.
2L’embarquement sur la corvette La Perle ne s’effectua que le 11 janvier car il fallut attendre Antoine Desgranges, traducteur officiel chargé d’accompagner la mission française, lui aussi retardé par l’état des routes.
3Charles Delacroix, père du peintre, avait été nommé préfet des Bouches-du-Rhône le 2 mars 1800. Il resta à Marseille jusqu’en avril 1803, date de sa nomination comme préfet à Bordeaux.
4Jean Alaux, dit le Romain (1786-1864, avait été chargé par Louis-Philippe de restaurer les peintures de Niccolo dell’Abbate au château de Fontainebleau. Delacroix ne fut pas le seul à déplorer son travail.
5A cette époque, ce mot était d’usage pour désigner tous les pays d’Afrique du Nord.
6 Marguerite-Jeanne-Aimée Heidinger (1797-?) avait épousé Pierret en 1820.

 

 

Transcription originale

Page 1

Toulon, 8 janvier

Je t’écris à toi et à Felix
dans cette lettre. Je comptais vous
ecrire une bonne lettre separement :
mais je n’en ai pas le temps. j’ai été
atardé et l’heure de la poste me presse.
Les lettres sont si longues à aller à Paris
que je ne veux pas retarder d’un jour
à te donner de mes nouvelles. Nous
avons eu beaucoup de contrariétés dans
ce maudit voyage. Un froid et une gelée de
chien pour partir. La neige
vers Lyon et jusque près d’Avignon
comme je ne l’ai pas vue depuis longtemps
à Paris et pour arriver de Marseille
à Toulon une bourasque de vent
et de pluie qui nous a percés. C’est


Page 2

ce qui nous a tant retardés.
Heureusement j’espère que nous ne
tarderons pas trop apartir. C’est
probablement pour après-demain.
Tu es venu je crois à Toulon. C’est
un fort beaupays. Voilà le midi
enfin : je me retrouve… La belle
mer et les belles montagnes !
Je ne suis pas entré sans tristesse à
Marseille. Letemps et safaux ont
rudement travaillé autour de moi
et sur des têtes chères depuis le jour
où je l’avais quittée. j’ai été heureux
d’y retrouver des souvenirs encore
vivants de mon père = a propos
j’ai vu Fontainebleau en passant. Le
vandalisme y fait de fameux coups.

 

Page 3

Il est inimaginable que la déraison
aille à ce point de saccager les
admirables restes de peintures qui
s’y trouvent pour faire place aux
échafauds et à la brosse de Mr
Alaux le Romain. Je suis convaincu
que je ne trouverai rien de si barbare
en Barbarie. Mais la volonté
du diable soit faite.
Adieu, bons et chers amis :
il en coûte assez de se sentir déjà à 202
lieues de vous autres et je vais encore
voir entre nous un plus grand intervalle. Du
reste je me porte fort bien. Cette agitation
me plaît. Mon camarade de route est parfait.
Je vous embrasse tous sans
oublier Mad.Guillemardet et Mad Pierret.

Eugène

 

Page 4

Monsieur
Pierret
N°18 rue Ste Anne
à Paris

 

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