Lettre à Augustin Varcollier, 5 avril 1843

  • Cote de la lettre ED-MD-1843-AVR-05-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Michel-Augustin VARCOLLIER
  • Date 05 Avril 1843
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Historique Acquise par la Société des Amis du musée Eugène Delacroix avec la participation de M. et Mme Thierry Bodin pour le musée Eugène Delacroix, en vente publique, Mayenne, étude Pascal Blouet, 2 octobre 2005, n°53.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,7x26,5
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque MD 2005-65
  • Données matérielles Pliée en trois
  • Œuvre concernée Pietà, Paris, église Saint-Denys du Saint-Sacrement
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Transcription modernisée

Frépillon près Saint-Leu Taverny

5 avril 1843

Mon cher Monsieur,

Je prends la liberté de vous écrire de la campagne où je me trouve momentanément, dans l’espérance d’arriver plus promptement s’il est possible à la solution de la difficulté qui fait l’objet de ma lettre.

Ayant fait à mon esquisse de la Vierge1 , les changements nécessités par les observations de la commission, et me proposant de commencer enfin mon tableau suivant cette nouvelle donnée, j’avais envoyé à l’avance une personne pour faire sur le lieu les dispositions nécessaires. Le curé, ayant appris le sujet, a déclaré nettement qu’il ne l’acceptait point. Il prétend que les fabriciens sont de son avis et je n’ai pas de peine à le croire vu l’insistance qu’il y met et dont il leur aura fait sentir l’effet. Il trouve que ce sujet revient sans cesse, ce qui est une singulière raison et me paraît répondre d’avance à son objection ; de plus, que la Vierge n’y est pas glorifiée suffisamment, prétendant qu’elle ne saurait être principale là où le personnage du Christ est introduit.

Il serait aisé de lui répondre que ce sujet a été traité mille et mille fois soit en peinture, soit comme groupe de sculpture pour la chapelle de la Vierge : on pourrait soutenir aussi je crois que la douleur de la mère et la disposition forcée de ce sujet appelle tout l’intérêt possible sur cette figure qui devient de la sorte tout à fait principale.

Voici donc tout remis en question. Je comptais travailler avec suite à cet ouvrage à cause de la nécessité où je suis de passer tout l’été et même l’automne c’est-à-dire jusqu’à l’ouverture de la session prochaine du Luxembourg, et je comptais l’avoir terminé dans le printemps. Je serais donc infiniment désappointé, sans parler du regret qu’il m’est bien permis d’avoir de l’inutilité des études que j’ai faites sur trois compositions.

Je m’adresse donc à vous mon cher Monsieur, espérant que vous pourrez arranger cette affaire de manière à faire revenir le curé de sa prévention. Les deux sujets de sa prédilection étaient l’Assomption qui est impossible à traiter sur la place et l’Annonciation dont j’avais essayé de tirer parti mais qui n’est guère favorable non plus.

Recevez Cher Monsieur, en attendant une réponse que je vous prierai de vouloir bien m’adresser à Paris, l’assurance de la haute considération, de votre dévoué et obéissant serviteur.

Eug. Delacroix

 


1 Pour la chapelle de la Vierge dans l’église Saint-Denys du Saint-Sacrement, rue de Turenne, à Paris, dont il avait été chargé du décor à la place de Robert-Fleury, le 4 juin 1840.

 

Transcription originale

Page 1

Frepillon près St Leu Taverny
5 avril 1843

 

Mon cher Monsieur,

Je prends la liberté de vous
ecrire de la campagne où je me
trouve momentanement, dans l’esperance
d’arriver plus promptement s’il est possible à
la solution de la difficulté qui fait l’objet
de ma lettre.

Ayant fait à mon esquisse de
la vierge, les changements nécessités par les
observations de la commission, et me
proposant de commencer enfin mon
tableau suivant cette nouvelle donnée,
j’avais envoyé à l’avance une personne pour
faire sur le lieu les dispositions nécessaires.
le curé, ayant appris le sujet, a declaré

Page 2

nettement qu’il ne l’acceptait point. Il pretend
que les fabriciens sont de son avis et je n’ai
pas de peine à le croire vu l’insistance qu’il y
met et dont il leur aura fait sentir l’effet.
Il trouve que ce sujet revient sans cesse, ce
qui est une singuliere raison et me parait
repondre d’avance à son objection ; de plus, que
la vierge n’y est pas glorifiée suffisamment,
pretendant qu’elle ne saurait être principale
là où le personnage du christ est introduit.
Il serait aisé de lui repondre que ce sujet
a eté traité mille et mille fois soit en
peinture, soit comme groupe de sculpture pour
la chapelle de la vierge : on pourrait soutenir
aussi je crois que la douleur de la mère et
la disposition forcée de ce sujet appelle tout
l’intérêt possible sur cette figure qui devient de
la sorte tout à fait principale.

Voici donc tout remis en question. je
comptais travailler avec suite à cet ouvrage
à cause de la nécessité où je suis de passer tout

 

Page 3

l’eté et même l’automne c. a. d. jusqu’à
l’ouverture de la session prochaine au Luxembourg,
et je comptais l’avoir terminé dans le printemps.
je serais donc infiniment desappointé, sans
parler du regret qu’il m’est bien permis
d’avoir de l’inutilité des études que j’ai
faites sur trois compositions.

Je m’adresse donc à vous mon cher
Monsieur, esperant que vous pourrez
arranger cette affaire de maniere à faire
revenir le curé de sa prévention. les deux
sujets de sa prédilection etaient l’assomption
qui est impossible a traiter sur la place et
l’annonciation dont j’avais essayé de tirer
parti mais qui n’est guère favorable non plus.

Recevez Cher Monsieur, en attendant
une reponse que je vous prierai de vouloir bien
m’adresser à Paris, l’assurance de la haute
considération,

de votre dévoué et
obeissant serviteur

Eug. Delacroix

 

 

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