Lettre à Félix Guillemardet, 17 octobre 1831

  • Cote de la lettre ED-MD-1831-OCT-17-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire Félix GUILLEMARDET
  • Date 17 Octobre 1831
  • Lieux de conservation Paris, musée Eugène Delacroix
  • Éditions précédentes -
    , inédite.
  • Historique Acquise en vente publique, Paris, hôtel Drouot, étude Oger-Dumont-Ribeyre-Baron, 20 décembre 2001, n°6.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Format in - 8°
  • Dimension en cm 20,1x25,6
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque MD 2001-4
  • Cachet de la poste [1er cachet] VALMONT // 15 // [Illisible] // 1831 ; [2e cachet] 17 // OCT // 1831
  • Données matérielles Pliée en cinq
Agrandir la page 1
Agrandir la page 2
Agrandir la page 3
Agrandir la page 4

Transcription modernisée

Monsieur

Félix Guillemardet

Rue Louis Legrand n°27

A Paris

Samedi, Valmont 17 octobre1

 

Cher Félix, je reçois une lettre de Pierret en réponse à une où je lui demandais quelques commissions et je te réponds comme si c’était à lui. Comme il me dit avoir fait avec toi quelques promenades à Vincennes, j’en conclus que tu n’es plus à la campagne de ta cousine. Si j’osais, j’en conclurais aussi que tu te portes mieux et nulle nouvelle ne saurait m’être plus agréable. Pierret a oublié de me dire d’une manière plus positive comment tu allais. C’est au reste ce que je viendrai savoir dans peu moi-même. Je compte partir dans la semaine dans laquelle nous allons entrer ; non pas que j’aille très directement à Paris. J’ai l’espoir de visiter d’ici à Rouen, d’abord les ruines de Jumièges dont tu connais la réputation et puis une certaine abbaye de St Georges de Boscherville qui est célèbre en Normandie. Mais enfin tout cela ne sera pas assez long pour ne faire que je ne sois pas à Paris avant la fin du présent mois.

J’ai peu vu la mer cette année. La dernière fois que j’y ai été, il m’a pris fantaisie de m’y baigner pour voir ce que c’est. J’ai d’abord eu un froid abominable ce qui est le propre de la saison et j’ai manqué d’avoir les jambes et les membres moulus contre des pierres au milieu desquelles je me trouvais. Mais à cela près, j’ai éprouvé des sensations assez nouvelles. Je doute cependant que je recommence souvent, attendu que quoiqu’à la rigueur je pusse nager, mon excessive timidité toutes les fois que je suis dans l’eau, m’ôtera toujours le plaisir du bain, surtout dans une baignoire comme le pater oceanus. C’est toujours au demeurant une magnifique sensation que cette immensité et que cette monotonie qui a le charme de la variété puisque chaque vague qui vient se briser vous en fait désirer une autre et ne vous lasse jamais. Je n’ai jamais pu la quitter qu’à reculons.

Pierret me marque que ta mère veut bien m’attendre à dîner pour demain dimanche 18. Je regrette bien de ne pouvoir être de la partie : je n’en ferai probablement pas un [mot barré illisible] qui réunisse autant de personnes que j’aime. Il y a demain seulement chez un voisin qui nous traite une certaine petite dame avec laquelle j’avais entamé des préliminaires auxquelles mon départ prochain m’empêche de donner suite, malgré d’heureux auspices. Les entrailles de la victime étaient toutes en ma faveur. Si je reviens dans le pays, nous verrons. En attendant je la lègue au plus digne.

Quand on est loin de ses amis, on se les représente plus souvent que quand on est dans les mêmes murs. Plus je pense à ce que tu éprouves, et plus je me persuade que c’est une crise particulière du tempérament comme il y a mille exemples de pareilles choses. Ne t’abats donc point en pensant à la continuité de ton malaise. Nous boirons encore plus d’une fois du punch et du vin de Champagne et tu nous feras raison comme par le passé. Si tu vois Mme Lamey, dis-lui que je regrette bien vivement de ne l’avoir pas embrassée avant mon départ qui a été très précipité. Peut-être arriverais-je encore à temps

Adieu, au plaisir de t’embrasser. Mille choses à ta mère

Eug. Delacroix


1 Delacroix est à Valmont au moins depuis le 26 septembre 1831 – il y restera une partie du mois d’octobre –, chez son cousin Alexandre-Marie Bataille (1777-1841).

Transcription originale

Page 1

Monsieur

Félix Guillemardet

Rue Louis Legrand n°27

A Paris

 

Page 2

Samedi, Valmont 17. 8bre

Cher Felix, je reçois une lettre de
Pierret en reponse à une où je lui deman-
dais quelques commissions et je te reponds
comme si c’etait à lui. Comme il me dit avoir
fait avec toi quelques promenades à Vincennes,
j’en conclus que tu n’es plus à la campagne de
ta cousine. Si j’osais, j’en concluerais aussi que
tu te portes mieux et nulle nouvelle ne saurait
m’etre plus agreable. Pierret a oublié de me
dire d’une manière plus positive comment tu
allais. C’est au reste ce que je viendrai savoir dans
peu moi même. Je compte partir dans la
semaine dans laquelle nous allons entrer ; non
pas que j’aille très directement a Paris. J’ai
l’espoir de visiter d’ici à Rouen, D’abord les ruines
de Jumièges dont tu connais la réputation et
puis une certaine abbaye de St Georges de Bocherville
qui est célèbre en Normandie. Mais enfin tout
cela ne sera pas assez long pour ne faire que je
ne sois pas a Paris avant la fin du présent mois.

 

Page 3

J’ai pu peu [mot interlinéaire] vu la mer cette année. La dernière
fois que j’y ai eté, il m’a pris fantaisie de
m’y baigner pour voir ce que c’est. J’ai dabord
eu un froid abominable ce qui est le propre de
la saison et j’ai manqué d’avoir les jambes
et les membres moulus contre des pierres au
milieu des quelles je me trouvais. Mais à cela
près, j’ai eprouvé des sensations assez nouvelles :
je doute cependant que je recommence souvent
attendu que quoiqu’à la rigueur je pusse nager, mon
excessive timidité toutes les fois que je suis dans
l’eau, m’otera toujours le plaisir du bain, surtout
dans une baignoire comme le pater oceanus. C’est
toujours au demeurant une magnifique sensation
que cette immensité et que cette monotonie qui
a le charme de la varieté puisque chaque vague
qui vient se briser vous en fait désirer une autre et ne
vous lasse jamais. je n’ai jamais pu la quitter qu’à reculons.

Pierret me marque que ta mère veut bien m’attendre
à diner pour demain dimanche 18. Je regrette bien
de ne pouvoir être de la partie : je n’en ferai

 

Page 4

probablement pas un [mot barré illisible] qui réunisse autant
de personnes que j’aime : Il y a demain seulement
chez un voisin qui nous traite une certaine petite
dame avec laquelle j’avais entamé des préliminaires
auxquelles je ne mon départ prochain m’empêche de
donner suite, malgré d’heureux auspices. Les
entrailles de la victime étaient toutes en ma faveur.
Si je reviens dans le pays, nous verrons. En attendant
je la lègue au plus digne.

Quand on est loin de ses amis, on se les represente
plus souvent que quand on est dans les mêmes murs. Plus
je pense à ce que tu eprouves, et plus je me persua[lacune]
que c’est une crise particuliere du tempéram[lacune]
comme il y a mille exemples de pareilles choses. Ne
t’abats donc point en pensant à la continuité de ton
malaise. nous boirons encore plus d’une fois du punch
et du vin de champagne et tu nous feras raison
comme par le passé. Si tu vois Mad. Lamey, dis-lui
que je regrette bien vivement de ne l’avoir pas
embrassee avant mon départ qui a été très precipité.
Peut-etre arriverais-je encore a temps

Adieu, au plaisir de t’embrasser.
Mille choses à ta mère

Eug. delacroix

 

Précédent | Suivant