Ce 9 août¹

 

Cher ami, je te remercie bien de ta bonne lettre. Je suis ici depuis une quinzaine de jours, m’étant remis à ma chapelle² qui est un travail très rude et m’étant même rendu malade à ce métier là. Je ne suis donc pas ordinairement chez moi dans la journée ; mais puisque tu es seul, tu devrais bien choisir un jour pour venir dîner avec moi les coudes sur la table : nous causerions à notre aise, ma journée étant finie. Si tu n’as pas d’engagement dimanche, comme c’est le jour où je ne vais pas à Saint-Sulpice, je serais encore moins fatigué le soir : mais prends le jour que tu voudras en exceptant cependant demain vendredi et lundi prochain.

Je regrette bien comme toi de n’avoir pas pensé à te demander au commencement le portrait que nous aimons tous deux en souvenir de celui qu’il représente³ : mais maintenant outre la difficulté de le faire mettre après les autres, cela dérangerait certaines combinaisons dont je te parlerai.
Arrange donc notre petite partie et même renouvelons la souvent.

La nouvelle de notre ami André est une de ces plaisanteries avec lesquelles on amuse Paris tous les jours, et pour celui qui en est l’objet, il reste à savoir si ce n’est pas plus à craindre qu’à désirer. Il y a quelqu’un qui devrait être là ou au Conseil d’Etat pour le moins et qui est au-dessus de l’une et de l’autre situation. C’est l’ami que j’embrasse ici en attendant que j’aie le plaisir de le voir

A toi cher ami,

Eug. Delacroix

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¹ Une main étrangère a rajouté à la plume la date 1855 après le mois.
² La chapelle des Saints-Anges dans l’église Saint-Sulpice, à Paris, dont Delacroix avait reçu officiellement la commande le 28 avril 1849.
³ Le portrait de Félix Guillemardet, frère de Louis, mort prématurément en 1842 à l’âge de 46 ans, pour figurer parmi les œuvres que Delacroix avait choisi de présenter à l’Exposition Universelle de 1855 (passé en vente publique chez Doyle New-York, le 21 mai 2002).