Lettre à George Sand, 22 janvier 1852

  • Cote de la lettre ED-IN-1852-JAN-22-A
  • Auteur Eugène DELACROIX
  • Destinataire George SAND
  • Date 22 Janvier 18[52]
  • Lieux de conservation Paris, bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet
  • Éditions précédentes Joubin, Correspondance générale, 1936-38
    , t. III, p. 101-103. Alexandre, 2005, p. 192-193.
  • Enveloppe Non
  • Nombre de pages écrites 3
  • Présence d’un croquis Non
  • Dimension en cm 20,7x27,2
  • Cachet de cire Non
  • Nature du document Lettre Autographe Signée
  • Cote musée bibliothèque Ms. 236 pièce 61
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Transcription modernisée

Ce 22 janvier

Chère amie, je réponds bien tard à votre bonne, à votre excellente lettre ; j’ai eu à faire beaucoup, non pas pour ces nouvelles fonctions1 qui ne me prendront qu’une séance de temps en temps. Je n’ai accepté qu’à condition de ne mettre le nez que dans ce qui me concerne et dans ces parties, il faudrait plutôt que nous soyons six du même bord, qu’un seul. J’ai été pris à la gorge par le préfet2, qui a imaginé cela tout seul et qui me trouve plus d’esprit qu’aux autres peintres. La ville de Paris dépense beaucoup en travaux d’art et, malgré ce que je pourrai dire avec ma faible voix, il se fera encore beaucoup de sottises comme par le passé, mais peut-être parviendrai-je à parer quelques coups ; quant à la rétribution, elle consiste dans l’honneur, et le jour où cela m’ennuierait, je laisserais les choses pour ce qui me concerne à leur cours naturel.

Que je suis heureux que vous n’ayez pas été trop mécontente de mon envoi ! J’ai hésité entre deux ou trois petites toiles et il m’a semblé que celle-ci ferait une variété par le sujet. Falempin avec une grande ponctualité est venu m’apporter l’argent, que je suis honteux de vous prendre car vous suez comme moi pour en avoir et les temps de révolutions ne sont guère pour enrichir les artistes. Vous n’êtes pas plus contente de votre santé ; je me suis toujours figuré que la contention du travail de nuit, si agréable d’ailleurs, contrarie par trop la bonne nature et en est-il une plus privilégiée que la vôtre ? Un peu de repos, chère amie, c’est-à-dire à propos. Je vous prêche de la rigueur et contre le travail encore, qui est notre plus grand consolateur. Moi qui vous parle, je passe des journées à mon chevalet, auprès d’un poêle brûlant qui me dessèche le cerveau. Cependant j’obtiens de ma paresse de marcher beaucoup le soir : ordinairement cela me donne une assez bonne nuit.

Mille choses, chère amie, à ces messieurs qui veulent bien se souvenir de moi. J’embrasse Maurice et Solange avec sa permission. Pour vous, vous êtes un des seuls êtres auxquels je pense toujours avec bonheur : cela n’a rien d’étonnant pour qui vous a appréciée ; mais il y a quelque chose de plus que l’estime que j’ai de vos qualités : c’est un penchant de cœur et qui ne me quittera pas, à moins que je ne m’oublie moi-même. Je vous embrasse donc bien, chère amie.

Eugène Delacroix


1 Delacroix avait été nommé commissaire municipal de la Ville de Paris par décret du 27 décembre 1851 (Alexandre, 2005, p. 282).
2 Jean-Jacques Berger (1791-1859), préfet de la Seine du 20 décembre 1848 au 22 juin 1853. Il mit en oeuvre les premières mesures de la politique de rénovation urbaine voulue par le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte.

Transcription originale

Page 1

Ce 22 janvier

Chère amie je reponds bien
tard à votre bonne, à votre excellente
lettre : j’ai eu à faire beaucoup, non
pas pour ces nouvelles fonctions qui
ne me prendront qu’une séance de
temps en temps. Je n’ai accepté qu’à
condition de ne mettre le nez que dans
ce qui me [mot interlinéaire] concerne et dans ces parties
il faudrait plutot que nous soyons
six [deux mots raturés] du même bord, qu’un seul.
J’ai eté pris à la gorge par le prefet
qui a imaginé [un mot raturé] cela tout seul. et qui [2 mots interlinéaires]
me trouve plus d’esprit qu’aux autres peintres [9 mots interlinéaires]
La ville de Paris depense beaucoup
en travaux d’art et malgré ce que je
pourrai dire avec ma faible voix il
se fera encore beaucoup de sottises comme
par le passé : mais peut etre parviendrai je
à parer quelques coups : quant à la
retribution elle consiste dans l’honneur :

Page 2

et le jour où cela m’ennuierait je
laisserais les choses pour ce qui me
concerne à leur cours naturel.

Que je suis heureux que vous n’ayez
pas eté trop mécontente de mon
envoi : j’ai hesité entre deux ou
trois petites toiles et il m’a semblé
que celle ci ferait une variété par
le sujet. Falempin avec une grande
ponctualité est venu m’apporté l’argent
que je suis honteux de vous prendre car
vous suez comme moi pour en avoir et
les temps de revolutions ne sont guères
pour enrichir les artistes. Vous n’etes
pas plus contente de votre santé ; je me
suis toujours figuré que la contention
du travail de nuit, si agreable
d’ailleurs, contrarie par trop la bonne
nature et en est il une plus privilégiée
que la vôtre? Un peu de repos chère
amie c’est à dire à propos. Je vous
prêche de la rigueur [un mot interlinéaire] [un mot raturé] et contre le
travail encore qui est notre plus grand

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consolateur. Moi qui vous parle
je passe des journées à mon chevalet
auprès d’un poële brûlant qui me
me desseche le cerveau. Cependant
j’obtiens de ma paresse de marcher
beaucoup le soir : ordinairement cela
me donne une assez bonne nuit.

Mille choses chère amie à ces
Messieurs qui veulent bien se souvenir
de moi. J’embrasse maurice et
Solange avec sa permission. Pour vous,
vous etes un des seuls etres auxquels
je pense toujours avec bonheur : cela
n’a rien d’etonnant pour qui vous a
apprécié : mais il y a quelque chose
de plus que l’estime que j’ai de vos
qualités : c’est un penchant de
cœur et qui ne me quittera pas, à moins
que je ne m’oublie moi-même. Je vous
embrasse donc bien chère amie

Eugdelacroix

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